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mercredi 12 janvier 2011

Quelle place pour Villey ?


L'Atelier du Centre de recherches historiques a publié voici déjà deux ans un intéressant article portant une appréciation très critique de l'oeuvre de Michel Villey, le célèbre philosophe du droit. Article que je découvre un peu tardivement.
(Lecture en ligne de l'article)

L'article, de Sylvain Piron, a le mérite d'apporter la contradiction à un maitre rarement contesté. Pourtant les thèses de Villey proposent une interprétation quelque peu tranchée de l'histoire de la philosophie du droit et il est surprenant qu'il soit à la fois peu contesté et assez peu repris.

Je suis personnellement un amateur de Villey et j'apprécie que Sylvain Piron ait décelé ce qui m'apparait désormais être la clé du succès intellectuel de Villey – succès qui n'est certes pas de grand public : Villey est d'abord l'auteur d'un système.

Preuve en est en effet que l'idée de celui-ci se résume finalement de façon assez courte : il y a deux conceptions du droit, celle du droit au singulier et celle des droits au pluriel.

La première, plus ancienne, est objective, elle décrit un ordre des choses qui est juste ; la deuxième est subjective, c'est la conception des modernes voire la matrice de la modernité.

Pour Villey, la transition entre les deux conceptions résulte d'une corruption. Ces conceptions ont leur champion : celle classique est portée par Aristote et Saint Thomas d'Aquin tandis que celle moderne est avancée par Hobbes et son précurseur, Guillaume d'Occam (l'auteur du fameux rasoir).


Il a été reproché à Villey une sélection complaisante des textes pour établir sa théorie, ce que Piron relève et cite.

Mais alors que l'objet même de l'excellent article de Sylvain Piron est de démonter l'historiographie de Villey et d'en montrer l'artificialité, l'auteur se contente de renvoyer à l'avis de ces auteurs qui ont reproché à Villey de ne retenir que les textes adaptés à son système. On aurait aimé que l'auteur aborde lui-même directement le problème plutôt que de citer ces auteurs – car il est évident qu'un homme comme Villey, exposé par ses idées et sa longue carrière ait subi à tort ou à raison ce genre de critiques.

C'est d'autant plus dommage que l'auteur cite l'excellent exemple que Villey développe pour mettre en lumière le processus de subjectivisation du droit des anciens aux modernes : la comparaison des plans respectifs des institutes du corpus juris civilis et du code civil qui montre en effet que le plan a été subjectivisé.

Le plan romain sépare en effet les personnes, des biens (notion plus large que celle de choses qui conduit à des contresens actuels sur la nature par exemple de l'esclave sous Rome), des actions. Le plan français sépare quant à lui d'une part les personnes, d'autre part les biens et des différentes modifications de la propriété, et enfin des différentes manières dont on acquiert la propriété. (je n'aborde pas les ajouts récents) C'est donc un excellent exemple de la théorie de Villey, seulement abordé par sa critique.

On reste donc un peu sur notre faim même si nous admettrons que Michel Villey a pu sacrifier la justesse historique au système plus qu'on aurait pu le croire.

Pour le reste, l'auteur propose de trouver la genèse du système de Villey dans son éducation et son milieu, apportant plusieurs éléments intéressants mais qui àmha ne sont pas décisifs. Reste une critique qui vaut le détour.

mardi 4 janvier 2011

Pourquoi la France jouerait à l'espionnage industriel. Du procès d'intention

Enfin une révélation intéressante de wikileaks : il s'avèrerait que la France serait numéro 1... dans le domaine de l'espionnage industriel, ce à l'échelle de l'Europe. Mieux que la Russie et le Chine. (cf lemonde.fr, 04 janv. 2011, WikiLeaks : l'espionnage économique de Paris dérange ses alliés européens)

Cela apparaitra surprenant et c'est précisément cette surprise qui va nous servir de fil d'Ariane pour expliquer le pourquoi du comment.

I) Cas particulier

En effet la France en déclin relatif perd son rang. Ce déclin n'apparait pas légitime, il est mal accepté. En France on n'a pas de pétrole mais on a des idées... Dès lors on cherche une explication bien confortable. Et on la trouve : les autres puissances espionnent notre pays.

Voilà pourquoi nous sommes surpris d'apprendre que c'est plutôt la France qui sacrifierait à pareilles pratiques.

Et précisément parce qu'il est supposé un espionnage de nos concurrents, il devient légitime d'espionner en réplique. Légitime défense. Et peu importe que cet espionnage adverse soit mal étayé puisque nous sommes bon. Le plus fort est supposé l'espionnage adverse, le plus légitime apparait un espionnage en sens inverse.

La crainte d'être espionné justifie en fin de compte l'espionnage. Classique. Il apparait en fin de compte logique que le pays qui s'adonne le plus à l'espionnage soit celui qui craigne le plus d'être lui-même espionné. La révélation, à la supposer vraie, apparait en fin de compte logique.

II) Généralités

Le mécanisme que nous venons de découvrir apparait être un mode habituel du mal : nous réprouvons d'employer le mal mais nous sommes prêt à y sacrifier quand nous prêtons à notre ennemi de vouloir lui-même y recourir.

Les groupuscules extrémistes sont certainement sincères quand ils disent ne pas vouloir du mensonge et de la violence mais la croyance que leurs ennemis vont y recourir leur justifie d'y recourir eux-même.

On remarquera que les moyens que nous employons sont en fin de compte plus révélateurs de nous-mêmes que de notre adversaire. Peut-être parce qu'ils reflètent notre façon de penser et notre cadre intellectuel, bien plus que la personne réelle de notre adversaire.

De façon plus générale, la politique témoigne de camps qui se structurent en réaction au projet politique qu'ils prêtent au camp adverse. Ainsi à droite on se coalisera volontiers contre la presse, l'éducation nationale, les fonctionnaires, qu'on attaquera, en prêtant à ces groupes la volonté d'imposer ses idées quand la tendance à gauche de ces groupes a des causes plus mécaniques. A gauche on stigmatisera les riches, considérés presque ouvertement comme des parasites, les entrepreneurs, les commerçants. Chacun veut le bien public, la paix sociale et pourtant chacun est prêt à voir chez son adversaire politique un ennemi et un obstacle...

Et ainsi chaque groupe politique de s'unir autour de valeurs tout en condamnant plus ou moins explicitement le groupe adverse comme soumis aux vices pendants. Se dire libéral, est-ce que ce n'est pas susurrer que nos adversaires n'aiment pas la liberté ? Se dire socialiste, n'est-ce pas qualifier sourdement ses ennemis d'être les partisans d'un individualisme égoïste ? Appeler fête de l'humanité une fête communiste, n'est-ce pas retirer de l'humanité ceux qui sont au-delà des communistes et sympathisants ?

Le sommet est atteint avec les idéologies qui, comme l'explique Soljenitsyne, fournissent une explication totale, désignent les groupes ennemis, révèlent leurs vilaines intentions et servent en fin de compte à justifier le mal et désinhiber la violence à leur encontre.


Ainsi de l'espionnage à l'idéologie, prêter à l'adversaire de sombres intentions est le début de la corruption et du conflit. Le procès d'intention justifie le mal.