Etes-vous quelqu'un de différent ?

mardi 24 juillet 2007

Turquie, victoire de la démocratie

De France la victoire d'Erdogan pourrait être interprétée comme une victoire des islamistes, mon avis est qu'il s'agit de la revanche, tant de fois remise, de la société civile contre l'Etat.

Le pouvoir turc était occupé depuis l'indépendance par une élite autoritaire, décidée à conduire le pays vers le progrès à marche forcée. Mais le progrès des élites kémalistes n'était qu'une singerie des institutions occidentales.

L'Etat usa de son pouvoir politique pour remodeler la société turque suivant ses idéaux. La réforme la plus frappante fut l'adoption d'un alphabet occidental. La séparation de la religion, souhaitable mais qui peine à ne pas tomber dans l'excès inverse de l'athéisme d'Etat, suivit. Comme on peut l'observer ailleurs, les réformes effectuées au nom de la modernité et de l'individu servirent surtout le pouvoir de l'Etat.

S'ensuit mécaniquement le pourrissement du régime, qui repose toujours plus sur ses clientèles (et in fine la clientèle militaire) : les personnes éclairées, cad qui partagent les préjugés kémalistes, intègrent la fonction publique tandis que les autres en sont écartées. Un clivage progresse irrésistiblement au sein de la société entre le camp de la société civile et celui qui prétend la gouverner pour son bien. Or les clientèles étatiques sont nécessairement minoritaires, à défaut le régime est improductif et ne survit pas, et dès lors il ne peut survivre sans légitimité.

Le régime kémaliste est très longtemps resté légitime, se basant sur le nationalisme, le progrès, une alliance efficace avec les USA contre le danger présenté par l'URSS. Mais l'avènement de l'islam comme source de légitimité du pouvoir dans les pays musulmans, la fin de la menace soviétique et l'inefficacité économique du régime kémaliste ont donc déssoudé le régime.

Surtout, le parti kémaliste ne peut plus incarner seul le progrès. En fait sa politique économique est parfaitement rétrograde : étatiste et dirigiste. C'est l'AKP qui a permis la relance du pays alors que celui-ci frolait la faillite en 2001 en menant quelques réformes libérales. Ceci montre au moins, avec bonheur, que le moteur du succès de l'AKP n'est pas uniquement l'islam mais bien la réussite économique.

Mais les kémalistes ne sont pas morts, en tant que parti historique de la Turquie ils restent le parti-recours, le parti naturel, comme le Congrès en Inde par exemple. Ils reviendront au pouvoir et savoir s'ils peuvent se moderniser demeure un paramètre inconnu et décisif de l'avenir de la Turquie.

Enfin déplorons que ce résultat accroisse les peurs xénophobes qui contrecarrent l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

nb : un article de Sorman postérieur sur la même ligne : ici

jeudi 12 juillet 2007

Déménagement à Khanpur

Kate et moi venons de déménager dans un appartement à Khanpur Extension, que nous partageons avec deux collocataires américain et écossais. Le logement est neuf -en fait il est encore en construction-. C’est plus agréable qu’être à l’hotel, nos hôtes sont attentionnés, on est nourris et ça coûte seulement 5 euros par jour.

Surtout, fini le cafard quotidien ! A l’hôtel, la scholar’s house de la Jamia Hamdard University (au fait : Jamia veut dire université), j’ai chaque nuit fait la chasse à un cafard différent (ça m’a rappellé wikipédia).

Un autre problème de l’hôtel, plutôt pas mal autrement, résidait en son excentrage, situé dans le sud de Delhi, loin de Connaught place et du Red Fort. Khanpur, où se trouvent mes nouveaux quartiers est malheureusement encore plus au sud et je n’ai donc pas encore eu l’occasion d’explorer le nord de la ville.

Alors que l’hôtel se trouvait dans le campus d’une université musulmane, Khanpur est un quartier populaire.

La Devli Road en est la principale artère, de direction nord-sud, qui est un superbe bazar dans tous les sens du terme. L’avenue est formée d’une suite ininterrompue et qu’on croirait sans fin d’échoppes mobiles ou sédentaires, parfois superposées proposant tout types de biens et service : jus de fruit, journaux (pas fréquent), plats chauds, vêtements, pharmacie, barres en métal, fruits (un seul type à la fois le plus souvent), réparation de vélo, meubles, tissu, tailleur, coiffeur, boissons énergisantes et matériel de bodybuilding, boissons, appels téléphoniques, immobilier, tapis, supermarché (= 50m²), meubles, viande, marbre, médecine, internet, téléphones mobiles, électro-ménager, maïs grillé etc.

On trouve encore un temple et une mosquée. On ne voit en revanche aucun agent de l’Etat ni administration. Seul le système de bus peut y être rattaché. Les gens s’entassent dedans jusqu’aux dehors des portes, qui ne ferment jamais. Par souci de lutte contre la pollution, ces bus roulent au GPL. Même si la pollution est un grave problème de Delhi, je doute que les consommateurs du service de bus eurent arbitrés vers le passage au GPL plutôt que la mise en place de davantage de bus.

La poussière semble encore plus présente sur la Devli Road qu’ailleurs, offrant un décor un peu far-west, surtout quand passe un cheval ou que des vaches s’installent sur le petit trottoir séparant parfois les voies.

Sur les côtés, on peut trouver d’authentiques bas-fonds, des rues tortueuses desquelles la lumière semble fuir. On erre entouré d’yeux surpris, sans garantie de trouver une sortie, ne sachant pas si au fond se trouve un cul-de-sac où un nouveau zigzag au détour duquel vous risquez de voir surgir une moto conduite par des gamins. Car Delhi est une ville formée de très nombreuses enclaves développant chacune leur propre « écosystème ». Les habitants de Delhi semblent ignorer l’allure générale de leur ville, on ne trouve d’ailleurs aucun plan, les conducteurs se repèrent par rapport aux endroits ou demandent leur chemin en cours de route.

Dernier détail, mon quartier abrite une forte minorité de sikhs, originaires du Penjab dont sont mes hôtes.

vendredi 6 juillet 2007

Ansal Plaza, où comment la jeunesse dorée fantasme l’occident


L’autre jour je suis allé à Ansal Plaza, au sud de la road ring de Delhi, qui était sur le chemin au bout duquel aurait du se trouver l’Alliance française. Je m’attendais à l’habituel alignement d’échoppes hétéroclite mais là je découvre un centre commercial branché pour la jeunesse dorée. A quoi rêve-t-elle ?

L’architecture est un peu surprenante, un design un peu futuriste : un amphithéâtre entouré par deux bâtiments symétriques organisés en cercle autour. Un peu décalée se dresse une tour à l’allure de tour de contrôle. L’entrée des bâtiments est surveillée par des vigiles.

On y trouve deux types de commerce. D’abord les magazins, principalement de vêtements, qui proposent des marques en apparence européenne (cad par le nom et le prix). Les mannequins mélangent astucieusement blancs et indiens européanisés, encore qu’ils gardent parfois la moustache, le détail qui tue.

Ensuite des échoppes proposent glaces, popcorn, boissons, hotdogs « authentique » et autres gâteries de l’ouest.

Des jeunes habillés cool ou fashion arpentent les allées, inspectant le grand mâle occidental habillé chic qui passe près d’eux.

De mes lectures de journaux j’avais compris que le principe de tels endroits est de copier autant que possible le mode de vie occidental ou plus exactement, ce qui est très différent, singer les habitudes qu’on prête aux occidentaux. C’était l ‘occasion de tester l’idée reçue.

Ce fut un succès.

Tout ce cliché a un côté tristement dérisoire : dès qu’il pleut, l’eau coule du plafond dans le couloir, qu’un employé vient éponger. Les employés sont en surnombre et inefficaces, on trouve des insectes dans les bonbons, les escaliers sont des escaliers de service mis à part les escalators du milieu.

La jeunesse dorée de Delhi, souvent nouveau-riche, ignore que le clinquant et le cher sont vulgaires. Ce soir-là je mangeais dans une échoppe thaï perdue pour 100 roupies, dans une rue dégueulasse, à l’écart des magazins, et c’était excellent.

mercredi 4 juillet 2007

Rickshaw devant !


Je suis arrivé à Delhi vendredi. Ancien pays tiermondiste et donc pauvre, aujourd’hui capitaliste et donc en plein boom économique. L’expérience la plus marquante, et quotidienne, est la conduite en rickshaw, sorte de petit taxi bas-de-gamme à trois roues et moteur vrombissant.

Ces petits engins se glissent à toute allure dans une circulation infernale autant qu’encombrée. Le visiteur étranger constatera immédiatement qu’en Inde le feu rouge n’est qu’indicatif. Quand bien même l’artère que la route traverse est manifestement impossible à franchir, s’expose au ridicule le chauffeur qui s’arrête au feu et non au niveau du trafic, il se fait dépasser par autant de véhicules qu’il laisse de place devant lui, et c’est plus que ce qu’on peut imaginer.

Le sens de circulation n’est lui aussi qu’indicatif. Il faut des barrières de pierre et de fer pour empêcher les Indiens de circuler du mauvais côté pour gagner un peu de temps. Il est fréquent que vous voyez arriver des voitures en sens inverse occupant toute la largeur de la voie avant de se rabattre en catastrophe dans un concert de klaxon, concert permanent, le klaxon ayant ici pour fonction de se positionner par rapport aux autres conducteurs et à intimider ceux qu’on veut dépasser.

Les lignes séparant les voies semblent ne pas exister. Les « routes » sont défoncées, avalées sur les côtés par les commerces qui s’étendent sur des kilomètres, rétrécies encore par des travaux ou des trous trop gros.

Pour parfaire le tableau, il faut indiquer la variété de la faune : rickshaws, petites voitures à l’occidentale, grosses voitures, camions bennes, autobus, taxis, vélos, rickshaws à vélo, chevaux, piétons, motos, machins... Le tout est un peu cabossé encore que je n’ai pas vu d’accident.

Aucun policier, ou si peu.

Quelles leçons en tirer ? D’un côté se vérifie à chaque instant l’ordonnancement spontané des rapports sociaux décrit par Hayek, la création sans autorité de règles de conduite efficaces. Frappera l’étranger le spectacle démentiel du balet des usagers de la route, à fond les klaxons, qui se rencontrent sans se heurter, se cédant la place au dernier moment.

De l’autre se vérifie l’utilité d’un Etat ou d’une entité équivalente qui fait ici défaut. Car si un Indien peut gagner quelques secondes aux dépens de tout le monde, il n’hésite pas ! Sans doute une meilleure discipline permettrait-elle un gain par tous de temps mais personne n’est là pour garantir une telle discipline. On peut cependant raisonnablement douter qu’existe en Inde un Etat susceptible d’opérer une saine régulation sans céder à l’envie de tout planifier et assurer des rentes à ses clientèles, l’Etat indien a largement démontré sa malfaisance dans de nombreux domaines – ce qui sera exposé ultérieurement.