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lundi 27 juillet 2009

Les suites de l'affaire Fofana sur une pente glissante

Quelques mots sur les regrettables développements de l'affaire Fofana.

Depuis le rendu de la décision contre Fofana et sa bande, la situation ne cesse de se détériorer. Alors que le procès était apparu comme un succès, succès crédité en partie à son médiatique avocat général et excellent esprit, Philippe Bilger, la famille des victimes a largement remis en cause la justesse de ce verdict à l'égard des co-accusés, n'aboutissant pour l'essentiel qu'à faire fondre le capital de sympathie dont elle bénéficiait. Histoire d'un fiasco.


Le premier évènement, c'est une dénonciation du verdict déphasée de la perception publique. Cela est en partie un effet malheureux du huis clos, qui fait que la partie civile et l'opinion n'ont pas vu le même film. Mais ça n'explique pas tout. Il y a surtout un sentiment d'aliénation d'une partie des Juifs français, qui trouve une expression. Des incantations excessives telles que la shoah recommence en France discréditent ceux qui les proclament, quelle que soit la douleur d'avoir perdu un être cher, une douleur que les autres ne peuvent jamais entièrement comprendre. Mais l'excès montre une chose : beaucoup de Juifs sentent une insécurité croissante tandis que la plupart de la société française trouve que la communauté juive crie au loup. Est reproché à la décision de ne pas retenir le caractère antisémite du crime. Mais si l'enlèvement de Ilan Halimi a bien sur un lien avec l'antisémitisme, ce crime n'est pas directement antisémite en ce que les criminels voulaient obtenir rançon d'une personne qu'ils croyaient riche, à raison des préjugés qu'ils nourrissent contre les Juifs.

L'excès des réactions ne doit pas cacher qu'il y a bien un gros problème en France actuellement, que les Juifs dénoncent trop souvent isolés. Il est en effet devenu courant dans le langage jeune et de banlieue de se servir du mot juif comme insulte, pour désigner un objet cassé ou un personnage malveillant. Et ce qui devrait être perçu comme la dernière vulgarité apparait à ses auteurs comme une transgression plaisante ou un conformisme légitime.

Quoi qu'il en soit, le procès était celui de Fofana et de sa bande et pas de l'antisémitisme. Il fallait accepter la justice rendue, au moins pour éviter de quitter l'ascendant moral et descendre dans l'arène.


Le deuxième événement, c'est un appel calamiteux et parfaitement inopportun. Les parties civiles ne pouvaient faire appel et le pouvoir politique l'a fait à leur place. Image désastreuse d'une justice à deux vitesses qui se coule si facilement dans le mythe des Juifs aux manettes. Évidemment l'origine de cet appel c'est quelque chose entre le copinage politique de l'avocat des victimes et de la garde des Sceaux, si proches au RPR, cumulé à du zèle politique mal placé. Mais le cliché est tiré. Stupéfiant de maladresse.


Le troisième évènement est la campagne, grotesque de part en part, menée contre l'avocat général. Nous avons BHL, dont les compétences juridiques ont été légitimement mises en doute, qui s'en prend personnellement au magistrat et attise les flammes ; l'avocat de la famille des victimes, Me Szpiner, qui commet des déclarations incendiaires violant son obligation de délicatesse et confondant les problèmes ; le Monde qui publie deux tribunes, l'une défavorable au verdict, l'autre favorable, mais en réalité toutes deux des charges contre l'avocat général... Cette personnalisation donne l'impression de chercher un coupable et révèle d'autant plus la déconnexion du monde de la partie civile, saisie d'une fièvre obsidionale, et de la société.


Mais cette fièvre va peut-être redescendre car on a appris lundi que le parquet a demandé au bâtonnier d'ouvrir une enquête sur les propos prêtés à Me Szpiner, selon lesquels il aurait traité Philippe Bilger de traître génétique, déclaration déshonorante dont on ne peut qu'espérer qu'elle marque le nadir de toute cette histoire et que désormais les choses vont s'apaiser. Et il faut que l'affaire se calme au plus vite : car il ne faut pas oublier que cette histoire est avant tout - et surtout avant la polémique - celle d'un jeune Juif torturé à mort par un monstre qui n'a pas regretté ses actes et a provoqué la famille pendant le procès. On voit aujourd'hui avec quel succès.

lundi 13 juillet 2009

Crise ou coup d’Etat au Honduras ?

Il était une fois un président populaire et antilibéral, hostile aux institutions républicaines qui lui interdisaient de briguer un second mandat de quatre ans dont il chérissait l'idée. L'emploi de la force mit fin au blocage et, vous avez bien compris, Louis-Napoléon Bonaparte conservait ainsi le pouvoir qu'il aurait du rendre, et le convertissait un an après en titre impérial.

Ce 28 juin 2009, le président du Honduras eu nettement moins de chance. Il a été arrêté puis expulsé par l’armée, soutenue par la Cour suprême et le Parlement. Très vite, le président a acquis le soutien de la communauté internationale, sans que cela le remette en place.

On a très vite qualifié les évènements de coup d'Etat, une qualification que je rejoins in fine quoique je pense qu'elle mérite d'être disputée, ce qui est d'ailleurs le cas sur les wikipédias. Cette qualification mérite d'être disputée parce qu'elle attribue un peu vite les rôles. Pour la communauté internationale, il semble cependant que le procès soit déjà terminé.

I ) Un unanimisme international


Unanimisme, c'est bien le mot pour décrire la réaction de la communauté internationale. Certes il y a des nuances mais de façon générale on critique fiévreusement ou alors on critique, ou on dénonce. Les positions des pays s’étalent de la qualification de coup d’Etat assortie d’une condamnation et d’un appel à remettre en place le président, jusqu’à la dénonciation de la suite de l’emploi de la force et des appels à respecter la démocratie et l’état de droit (en réalité des formules génériques que chacun peut prendre pour soi).

Il faut cependant comprendre que cet unanimisme ne nous apprend pas grand chose sur les événements au Honduras, mais bien davantage sur la façon dont on doit gérer l’opinion publique dans ce type de crise.

Aucun Etat ne veut en effet être attrapé en flagrant crime de lèse-opinion publique. D’une certaine façon le rêve des doctrines idéalistes en matière de relations internationales s’est réalisé : l’opinion publique compte. Mais pas comme prévu. Pas comme une force populaire au soutien d’une démocratie libérale fin de l’histoire, plutôt comme une passion qu'on ne veux pas avoir contre soi.

Cet unanimisme à critiquer le changement brutal de pouvoir, qu'il soit ou non qualifié de coup d'Etat, a ainsi le mérite de couper l’herbe sous le pied des démagogues américains, toujours prêts à stigmatiser les États-Unis. Chavez et ses amis, après avoir commencé leur réquisitoire contre les États-Unis, ont du faire machine arrière et se contenter de prêter aux riches.

Les événements se glissent facilement dans la matrice de l’éternel coup d’Etat subi par une république bananière. La facilité devrait générer un peu de doute malheureusement pour beaucoup de monde, c’était un slam dunk et on s’est précipité à interpréter en noir et blanc ce qui était complexe.

II ) Une qualification disputable

La réalité est toujours complexe. La définition d’un coup d’Etat elle-même n’a rien d’évidente. J’ai d’ailleurs du la revoir lors de la crise, aidé par quelques manuels (l’article de wp:fr reste à revoir si ce n’est à recycler).

Observons notre définition. Un coup d’Etat est un renversement du pouvoir qui se caractérise plus par son illégalité que par sa brutalité : l’illégalité est nécessaire, la violence n’est que contingente. De surcroit le renversement émane d’une autorité constituée c.-à-d. qu’une section de l’Etat s’empare du tout.

Incidemment ces deux caractéristiques permettent àmha de distinguer le coup d’Etat du putsch - plus violent, plus extérieur à l'Etat - encore que généralement on les traite comme synonyme.

Le coup d’Etat se distingue de la révolution, pour laquelle on prête une part plus active à la population. Pour cela, nombre de coups tentent de se faire passer pour des révolutions.

En l’espèce la qualification du renversement du président Zélaya en coup rencontre des difficultés : celui-ci voulait effectuer une consultation populaire dans des formes que la Constitution ne prévoyait pas (cette consultation était donc interdite) pour le motif transparent de permettre la réélection du président, ce que la Constitution non seulement interdit mais prescrit en plus le prononcé de la haute trahison…

La Cour suprême avait logiquement jugé un tel scrutin illégal et c’est donc avec l’aide de Chavez, qui lui fournissait les bulletins, qu’il intimait à l’armée de procéder à la mise en place du scrutin. Celle-ci avait refusé.

Les partis politiques, qui avaient décidé de s’abstenir de ce scrutin, s’opposaient à Zelaya, y compris son propre parti - on notera que le président par intérim est issu du même Parti Libéral que Zelaya. Le Parlement était à quelques voix près entièrement tourné contre le président.

Ainsi, vu de prêt, le président de Honduras n’est pas le grand démocrate empêché par les forces réactionnaires que le public espérait. Mais peu importe, on tenait enfin une bonne cause, on n’allait pas la lâcher.

III ) Les conséquences en fonction des wikipédias

Comment nommer l’article traitant de la crise ?

L’alternative se résume généralement à des titres comme Coup d’Etat au Honduras de 2009 et Crise constitutionnelle au Honduras de 2009.

Et la guerre fait rage. Du moins cela dépend des wikipédias. Par curiosité je suis allé comparer les wikipédias les plus importantes.

Ainsi sur l’anglaise, ça révoque :

Trois fois le 28 juin
Une fois le 30 juin
Quatre fois le 02 juillet
Deux fois le 05 juillet
Et depuis le 11 juillet nous avons : 2009 Honduran constitutional crisis, article semi-protégé, et à l’enjeu si important qu’on vient me demander mon avis sur ma pdd pour le débat (oui le débat anglais).

Chez les Teutons, Militärputsch in Honduras 2009 n’a jamais été retouché.

Chez les Espagnols, on note une guerre d’édition les 29 et 30 juin.

En France, rien. Mais on peut voir en pdd qu'il y a eu des tentations.


IV ) Un coup d’Etat quand même ?

J’entends bien la préoccupation de ceux qui veulent titrer la crise en évitant de la qualifier de coup d’Etat, ce qui leur apparaît comme une violation de pov.

Les arguments sont intéressants mais quand on a montré que le comportement de Zelaya était autocratique et violait les institutions démocratiques, on n’a pas montré que ce n’est pas un coup qui l’a renversé.

Or quelques soient les violations de la Constitution de la Constitution que Zelaya avait commises, et surtout celles qu’il s’apprêtait à commettre, et quand bien même c’est lui qui aurait franchi le Rubicon en ordonnant un referendum illégal, c’est bien l’armée qui l’a déposé hors formes légales. Certes ces formes légales n’existaient pas : les institutions ne pouvaient destituer le président dans les temps en respectant le cadre constitutionnel. On était donc dans une situation de verrouillage, et c’est l’armée qui a liquidé le jeu. Se pose aussi le problème de savoir qui a eu l’initiative du renversement. Si on accepte l’idée que la constitution inflige automatiquement la peine de trahison de la patrie et donc la déchéance du président qui viole l’interdiction de se représenter, il n’en reste pas moins le problème de savoir qui a le droit de faire de telles qualifications. Blocage.

Quoi qu’il en soit, il y a bien violation de la légalité. Les objections à ce fait ne peuvent porter que sur la légitimité de cette violation.

Outre la violation de la légalité, notons l’emploi de la force contre Zelaya. Le coup n’est pas sanglant, l’emploi de la force semble s’être cantonné essentiellement à arrêter et expulser Zelaya au petit matin. Néanmoins c’est l’emploi de la force qui a déterminé l’issue du verrouillage constitutionnel.

Enfin les bénéficiaires et instigateurs sont des autorités constituées. Certes normalement c'est le titulaire du pouvoir exécutif qui renverse le reste de l'Etat. Ici c'est l'inverse mais le critère est bien rempli.

Pour toutes ces raisons, il n’est pas déraisonnable de croire que le coup d’Etat est constitué. Il ne faut cependant pas découler immédiatement de cette qualification qu’il faille le condamner. Certains medias ont parlé d’un coup d’Etat d’un genre nouveau voire d’un coup d’Etat étrangement démocratique, comme c'est le cas du Wall Street Journal.

Le traitement de la crise par les partisans d'appeler le schmilblick un coup d'Etat montre une fois de plus qu'il ne faut jamais réduire la réalité à une opposition manichéenne. Le traitement par l'autre camp nous rappelle qu'on ne se trompe jamais autant qu'à travers les erreurs de ses contradicteurs.