Etes-vous quelqu'un de différent ?

mercredi 30 décembre 2009

Of Self-love

Il ne s'agit pas de parler ici d'un wikipédien au pseudonyme prétentieux mais d'une notion mystérieuse de libéralisme économique.

Nous connaissons la fameuse citation d'Adam Smith.

L'homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s'il s'adresse à leur intérêt personnel et s'il leur persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu'il souhaite d'eux. C'est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j'ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même; et la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont si nécessaires, s'obtient de cette façon. Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur ''self-love''; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage.
Smith, la Richesse des Nations, chapitre II, Du principe qui donne lieu à la division du travail.

Cette citation est extrêmement célèbre. Remarquez que j'ai laissé le mot "self-love" non traduit. Généralement le mot est rendu par "égoïsme". Regrettable.

L'égoïsme est un vice exclusif du bien d'autrui tandis que le self-love est plus estimable, consistant en la recherche de son bien, sans exclure aucunement celui d'autrui. Un certain nombre de contre-sens part de là... La main invisible semble également poser beaucoup de problème (mais ce n'est qu'une métaphore).

Qu'est-ce que le self-love. Cette citation de Hume (encore un Ecossais) montre clairement qu'il n'est pas l'égoïsme :
I esteem the man whose self-love, by whatever means, is so directed as to give him a concern for others, and render him serviceable to society: as I hate or despise him, who has no regard to any thing beyond his own gratifications and enjoyments.
Hume, An Enquiry Concerning the Principles of Morals, appendice II : Of Self-Love

Et oui. L'explication de la société partant d'hommes égoïstes, soumis aux passions -si ce n'est aux vices- c'est en fait Mandeville et pas Smith. Pour la tradition libérale, l'homme cherche à réaliser son intérêt, qui correspond à un bien pour soi-même, mais sans que cet intérêt soit forcément égoïste. L'altruisme, l'humanité, la sympathie sont des passions humaines naturelles. La bonne action fait partie du self-love. La réalisation d'actions en apparence désintéressées est conforme à la recherche de l'intérêt personnel.

Hayek préfère parler de satisfaction de fins plutôt que de recherche de l'intérêt, incluant plus naturellement les fins désintéressées. Je préfère sa formalisation.

mardi 29 décembre 2009

Kissinger sur l'art de construire la paix

Voici un remarquable extrait de A World Restored, ouvrage de Henry Kissinger publié en 1964 consacré à la reconstruction de l'ordre européen à l'issue de l'épopée napoléonienne. Ce passage très riche s'intéresse à l'art de reconstruire la paix : autolimitation, rejet du vain désir de vengeance, lucidité politique, équilibre, légitimité. (p. 138)

Although every war is fought in the name of peace, there is a tendency to define peace as the absence of war and to confuse it with military victory. To discuss conditions of peace during wartime seems almost indecent, as if the admission that the war might end could cause a relaxation of the effort. This is no accident. The logic of war is power, and power has no inherent limit. The logic of peace is proportion and proportion implies limitation. The success of war is victory; the success of peace is stability. The conditions of victory are commitment, the condition of stability is self-restraint. The motivation of war is extrinsic: the fear of an ennemy. The motivation of peace is intrinsic: the balance of forces and the acceptance of its legitimacy. A war without an ennemy is inconceivable; a peace built on the myth of an ennemy is an armistice. It is the temptation of war to punish; it is the task of policy to construct. Power can sit in judgement, but statesmanship must look to the future.

These incommensurabilities are the particular problems of peace settlements at the end of total wars. The enormity of suffering leads to a conception of war in personal terms, of the ennemy as the «cause» of the misfortune, of his defeat as the moment for retribution. The greater the suffering, the more the war will be conceived an end in itself and the rules of war applied to the peace settlement. The more total the commitment, the more «natural» unlimited claims will appear. Suffering leads to self-righteousness more often than to humility, as if it were a badge of good faith, as if only the «innocent» could suffer. Each peace settlement is thus confronted with the fate of the ennemy and with the more fundamental problem whether the experience of war has made it impossible to conceive of a world without an ennemy.

Whether the powers conclude a retrospective peace or one that considers the future depends on their social strength and on the degree to which they can generate their own motivation. A retrospective peace will crush the ennemy so that he is unable to fight again; its opposite will deal with the ennemy so that it does not wish to attack again. A retrospective peace is the expression of a rigid social order, clinging to the only certainty: the past. It will make a «legitimate» settlement impossible, because the defeated nation, unless completely dismembered will not accept its humiliation. There exist two legitimacies in such cases: the internal arrangement among the victorious powers and the claims of the defeated. Between the two, only force or the threat of force regulates relations. In its quest to achieve stability through safety, in its myth of the absence of intrinsic causes for war, a retrospective peace produces a revolutionary situation. This, in fact, was the situation in Europe between the two World Wars.
Les vainqueurs de Napoléon surent restreindre leurs revendications (en particulier grâce aux efforts de Metternich wp bc et Castlereagh wp bc) et construire un ordre viable dans lequel la France trouvait une place et mettait un terme à ses projets de conquête.

La France qui vainquit l'Allemagne et l'Autriche en 14-18 ne sut pas faire preuve d'une telle sagesse. Elle essaya d'abaisser le plus possible l'Allemagne - voire elle l'humilia sans l'abaisser réellement. Le traité de Versailles fit le lit d'une Europe instable dans laquelle l'Allemagne était le pouvoir révolutionnaire. Pire encore, le principe d'auto-détermination qui fondait la légitimité du nouvel ordre, permettant à la France d'anéantir l'empire autrichien, allait devenir une arme entre les mains de Hitler pour annexer les régions peuplés d'Allemands sans réaction des puissances.

Au fond la Prusse n'avait pas fait preuve de davantage de sagesse en 1870 en proclamant l'empire allemand dans la galerie des glaces et en annexant l'Alsace et la Moselle, actions humiliantes et abaissantes condamnant la réconciliation future avec la France. Ainsi le deuxième Reich s'aliénait ce pays d'une part et la possibilité de s'allier avec lui d'autre part. Bismarck s'était d'ailleurs exprimé vainement contre l'annexion.

Plus près de nous et postérieurement à la parution de l'ouvrage de Kissinger, remarquons que l'action des USA en Irak et en Afghanistan, à la recherche d'une paix totale alimente plus qu'elle ne dissipe une situation révolutionnaire. Mais quel ordre est possible entre deux forces qui considèrent chacune l'autre comme le mal absolu ?

Note : on peut trouver le début de ce texte dans un dictionnaire de la diplomatie - comme quoi je n'ai pas le seul à avoir été frappé par la qualité de ce passage - mais il semble que la restitution est défaillante.

lundi 21 décembre 2009

google books en difficulté devant la justice française

Un mot pour regretter la condamnation de google qui numérise et met en ligne le contenu de livres sans permission des ayant-droits (à la propriété intellectuelle).

Il est vrai que le droit de citation est semble-t-il exclusif de visées commerciales en France. Partant ne critiquons pas la justesse de la décision mais la loi et la pertinence de l'action en justice.

Google propose en effet un service appelé google book qui permet de lire des extraits de livres, d'acheter les livres complets, de les trouver en bibliothèque, de lire librement depuis son PC les œuvres du domaine public, de retrouver les auteurs de citation, et pour autrui de faire du pov-pushing en dénichant dans l'océan de production littéraire la tournure qui servira à faire accroire son point de vue.

Mais voilà c'est fait par des Américains (impérialisme linguistique), c'est gratuit (ça cache qqch), c'est commercial (c'est mal).

Gallica, le service public français fournit un service plus nickel mais moins maniable, plus lourd, moins intégré (plus de clic, moins d'intuitif), moins accrocheur. De plus, pourquoi s'embêter à payer par les impôts un service que qqn veut bien faire gratuitement ?

Le côté commercial du service de google rebutte. C'est bien dommage car c'est précisément le caractère commercial de google qui implique que la compagnie doit vendre et trouver les moyens de vendre les livres. Autrement dit, si on cherche à augmenter la consommation de livre mieux vaut des commerciaux. Ceux-ci trouveront des moyens de pousser les gens vers les livres, ce que google books réussit très bien en combinant le net et le livre, relançant les perspectives du marché du livre. Qui s'en plaindra ?


Google se réserverait parait-il le droit de faire appel. A suivre.