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jeudi 26 janvier 2012

V pour Vendetta, un film fasciste ?



Rappelez-vous du film. Dans une dictature vaguement futuriste, un homme mène la résistance. Il a subi des expériences scientifiques, perdu son visage, est devenu un surhomme et cherche sa vengeance. Il vit dans un lupanar, entouré d'oeuvres somptueuses et se retrouve avec une belle minette sur les bras après l'avoir sauvée. En guise de dystopie on a en fait un fantasme d'ado.

Le méchant est un dictateur qui ressemble à Hitler pour que le spectateur soit bien sur d'être du bon côté. Ce qui n'est pas le cas, car contrairement aux apparences, dans V pour Vendetta ce sont bien les fascistes qui gagnent et il serait bon que le symbole du masque dont se sert le héros ne devienne un symbole de contestation démocratique.


Dystopie ou utopie ?

Parler du film V pour Vendetta est fréquemment l'occasion d'employer le mot savant de dystopie, qui serait le pendant sombre d'une utopie. Ainsi V aurait-il lieu dans un monde dystopique, c'est-à-dire un lieu où les choses sont organisées pour rendre les gens malheureux.

Or V n'est pas une dystopie mais l'inverse : une utopie individuelle. Et oui.

Certainement pas parce que le régime et la société décrits par le film, une sorte de fascisme, seraient bons et souhaitables.

Non, V est une utopie en ce qu'elle dépeint les groupes politiques et sociaux ennemis réels comme des fascistes, le rêve ! Les bons connaissent un destin de martyr ou d'accession à des vérités supérieures, joie ! Le combat de résistance va aboutir, autrement dit la dynamique est favorable... C'est donc... l'extase et non le cauchemar.

Quel groupe politique réel est visé par le film et dépeint en fasciste ? Simple, c'est George Bush et les conservateurs et néoconservateurs américains.

Il est notable que la BD originale de V opposait les anarchistes aux fascistes mais le scénario a été modifié par les frères Wachowski (obstinés à exploiter les filons de la gnose moderne et du nanar) pour présenter un tout autre combat. Un des auteurs, Alan Moore, qui a pris ses distances, l'a d'ailleurs compris : le film met en présence le « système américain néo-conservateur contre le système américain libéral », libéral signifiant en langue américaine : de gauche. Au combat anarchiste/fasciste présent dans la BD originale, on a donc superposé le combat gauche/droite sous l'ère de Bush fils.

Le scénario ne fait pas dans la dentelle, et recouvre tous les fantasmes d'un camp contre l'autre. Ainsi le pouvoir fasciste en place dans le film, avec son chef hitlérien, ses camps de concentration, ses expériences sur les humains, assoit-il son pouvoir en jouant la sécurité contre la liberté, or ce thème constitue une critique récurrente contre Bush. Ce thème est juste ne justifie pas pour autant un point Godwin.

Dans le film le gouvernement despotique est arrivé au pouvoir en profitant d'attentats dont il est en réalité l'instigateur – petit clin d'oeil pas subtil du tout au conspirationisme onzeseptembrien.

Mais ce n'est pas tout. Le présentateur démagogique de la télévision aux ordres est militariste et... évangéliste, soit l'équivalent d'un célèbre pundit conservateur américain. Notons encore que dans le monde de V on est exécuté pour avoir un Coran, on disparaît parce qu'on est lesbienne. Or Bush et son camp sont réputés par la plupart de leurs adversaires être défavorables aux musulmans et aux homosexuels.

Un tour sur la wikipédia anglaise abonde en notre sens :

« Many film critics, political commentators and other members of the media have also noted the numerous references in the film to events surrounding the then-current George W. Bush administration in the United States. These include the "black bags" worn by the prisoners in Larkhill that have been seen as a reference to the black bags worn by prisoners at Abu Ghraib in Iraq and in U.S.-administered Guantánamo Bay in Cuba, though the pre-Matrix draft of the screenplay also contains this reference to black bags. Also London is under a yellow-coded curfew alert, similar to the US Government's color-coded Homeland Security Advisory System. One of the forbidden items in Gordon's secret basement is a protest poster with a mixed U.S.–UK flag with a swastika and the title "Coalition of the Willing, To Power" which combines the "Coalition of the Willing" with Friedrich Nietzsche's concept of Will to Power. As well, there is use of the term "rendition" in the film, in reference to the way the regime removes undesirables from society. There is even a brief scene (during the Valerie flashback) that contains real-life footage of an anti-Iraq war demonstration, with mention of President George W. Bush. Finally, the film contains references to "America's war" and "the war America started" as well as real footage from the Iraq War. »



Qu'est-ce donc que le monde de V pour Vendetta ? Ce sont les USA de Bush tel que rêvé par ses opposants les plus hystériques c-à-d mélangé avec Hitler.

Et c'est pourquoi il est injuste de se borner à dire que V pour Vendetta est un mauvais film quand c'est d'abord une utopie au message extrêmement simple : Bush est méchant, nous sommes des victimes et ceux qui ne sont pas comme nous sont des fascistes.

Où est le fascisme ?

Le fascisme est bien présent dans le film mais pas là où on le croit.
Tout est fait pour dépeindre le pouvoir dictatorial contre lequel le héros lutte comme fasciste. Son chef ressemble à Hitler, le pouvoir a ses camps, il torture, il expérimente sur les êtres humains, il dés-humanise etc.

Mais comme dans tout bon film d'action qui se respecte, le mal prêté au méchant est en réalité le désinhibiteur de la violence dont on veut faire jouir le spectateur. Le méchant est violent ? On va le frapper avec bonne conscience. Il tue ? On peut le tuer. Il est sadique ? On va être sadique avec lui. Avec bonne conscience.

Le méchant est fasciste ? Le héros – et le spectateur qui se projette dans ce héros -, pourra être fasciste.

Que le spectateur fasse abstraction du méchant, ce prétexte au mal, et observe bien ce qui se passe dans le film et ce qu'il pourrait approuver à défaut de réfléchir.

Concrètement, que fait V ? Il tue, il séquestre, il terrorise et fait sauter le Parlement.

Que se passe-t-il à la fin ? L'armée se refuse à tirer et laisse approcher le Parlement, qui explose, par une foule de personnes anonymisées par un masque : autrement dit les institutions subverties par la masse atomisée, en un mot le fascisme.

Bref, ce film :
c'est une satire intolérante de la droite américaine, consistant à l'assimiler à un fascisme,
c'est un nanar,
c'est un film fasciste sur le fascisme.

Bonne séance !

mercredi 4 janvier 2012

Le cénacle du cuistre : a contrario

Nouvelle année et nouvelle thématique : le cénacle du cuistre, titrée ainsi en hommage au Coin du pédant, rubrique du canard satirique private eye où les lecteurs corrigent les erreurs que la politesse commande généralement de ne pas corriger.

En dépit des bonnes manières, corriger ces erreurs est utile pour se perfectionner et améliorer le monde, mais il apparait plus poli de se flageller un peu avant d'y procéder car une telle activité apparait pédante. Je ne veux pas dire que mes posts hors de cette rubrique sont exempts de pédanterie, ce qui serait pédant, je veux dire que pour opérer ces corrections et donc réaliser cette rubrique ce vice est presque nécessaire (à moins que l'avouer d'avance n'en prévienne, qui sait ?).

Une part du plaisir de cette rubrique est de débusquer la mauvaise correction et de leçonner le donneur de leçon donc que le lecteur n'hésite pas à me contredire. A pédant, pédant et demi. Toutefois inutile de me dire que le cuistre n'est pas tout à fait un pédant, je le sais mais voyez-vous le pédant est éculé tandis que les cuistres sont en paix.

Il y a moins de vice dans la vanité assumée que dans la fausse modestie affectée ou dans le ressentiment du médiocre. Le secret (indiqué donc dès le troisième paragraphe de cette nouvelle rubrique) est que la pédanterie dans la correction n'arrive bien souvent pas à la cheville de la pédanterie dans l'erreur que nous allons corriger.

Une illustration de cette dernière constatation avec au menu de ce jour : a contrario.

Il faut arrêter d'écrire a contrario à la place de au contraire en croyant améliorer son registre de langage.
A contrario signifie : à hypothèse inverse, conclusion inverse. C'est un type de raisonnement.

Je vois à ce propos que wikipédia indique la même chose, ce qui m'oblige à vérifier dans l'historique que je n'y suis pour rien. Chose faite.

Donc si vous parlez à quelqu'un qui est ou au moins doit être raisonnable, et que vous voulez juste dire "au contraire" et bien dites-le tel quel. Et si vous êtes misanthrope, dites délibérément a contrario.