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vendredi 23 juillet 2010

Dictature libérale ? Libéralisme sans démocratie ?



Pour un certain nombre de personnes la lecture de Hayek se résume à une petite citation citée hors contexte par des ouvrages et blogs antilibéraux. On peut la trouver sous cette forme : [mieux vaut une] « dictature libérale à une absence de libéralisme dans un gouvernement démocratique. »

Une double portée est attribuée à cette citation.

D'abord un énoncé général : mieux vaut la dictature et le marché que la démocratie.

Et ensuite, plus particulièrement, parce qu’elle était faite à un journal chilien de droite sous la dictature de Pinochet, elle signifierait que Hayek soutiendrait Pinochet.

Parfois le tout est enrobé dans une belle histoire, avec Hayek ou Friedman en conseillers machiavéliques du caudillo.

Aussi bien l'interprétation générale que particulière est fausse.


I) Pas de soutien à Pinochet

D'abord interpréter la citation comme un soutien à Pinochet s'écroule si on lit sérieusement in extenso ce que dit Hayek.

La citation exacte, avec ce qui l'accompagne, est : « Je dirai que, comme institutions pour le long terme, je suis complètement contre les dictatures. Mais une dictature peut être un système nécessaire pour une période transitoire. Parfois il est nécessaire pour un pays d'avoir, pour un temps, une forme ou une autre de pouvoir dictatorial. [...] Personnellement je préfère un dictateur libéral plutôt qu'un gouvernement démocratique manquant de libéralisme. Mon impression personnelle est que [...] au Chili par exemple, nous assisterons à la transition d'un gouvernement dictatorial vers un gouvernement libéral. » (Entretien avec le quotidien chilien ''[[El Mercurio]]'', 12 avril 1981, d'après la documentation de Institut Hayek)

Si Hayek prévoit que le régime chilien évoluera de la dictature au libéralisme, c’est bien que Pinochet et son régime n’ont pas une politique libérale. cqfd

On ajoutera que s'il est exact que le régime de Pinochet est une dictature, que le général a violé la légalité pour s'installer au pouvoir, on ne peut pas assimiler le Président Allende au parangon de la démocratie. Celui-ci gouvernait en court-circuitant le Parlement qui détenait la majorité et réclamait sa destitution. Le parti d'Allende, s'il s'est montré finalement globalement respectueux de la lettre de la constitution si ce n'est à son esprit, n'a jamais eu la majorité absolue et se comportait de manière plus que déplaisante avec son opposition dans ses derniers mois.

Il est donc prématuré d'assimiler le dictateur libéral à Pinochet et le démocrate antilibéral à Allende.

En tout état de cause il est erroné de comprendre cette citation comme endossant Pinochet quand Hayek espère une évolution libérale du régime dictatorial de celui-ci.


II) Pas de théorie politique antidémocratique

Ensuite l'interprétation générale de la fameuse citation comme rejet de la démocratie au profit du marché est fausse car Hayek ne limite aucunement le libéralisme dont il fait état au seul libéralisme économique.

Rappelons que pour les antilibéraux, Hayek opposerait la démocratie au libéralisme économique. Or jamais dans sa citation, qu’il s’agisse de l’original ou d’une version altérée, Hayek ne limite le libéralisme au libéralisme économique.

Ce que fait Hayek, c'est dissiper la confusion, fréquente, entre les notions de libéralisme et démocratie.

Incertitudes sur la notion de démocratie

Aujourd'hui tout le monde est démocrate. Le prix de cet unanimisme est une grande incertitude sur la définition de cette notion.

S'agit-il de la loi de la majorité, du consensus généralisé, d'un mouvement égalitariste, de l'état de droit, d'un mode de division des passions, d'un système réaliste de transition pacifique au pouvoir ? (On pourra se reporter à cet ancien article qui recueille des citations sur la démocratie et montre la variété des approches.)

La démocratie est confondue avec des idées voisines, au premier rang desquelles se trouve le libéralisme.

La démocratie devrait se définir premièrement comme mode de désignation des gouvernants par le mode du suffrage universel. C'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple (citation de Lincoln qu'on retrouve dans la Constitution française). Si ce système est souhaitable, il n'est pas suffisant car la majorité peut vouloir un mal, aux dépens des minorités.

La démocratie peut faillir et d'ailleurs Hayek provient précisément d'un pays où la faillite de la démocratie a eu de graves conséquences. Il a acquis la nationalité britannique en 1938, refusant l’anschluss.

Confusion entre démocratie et libéralisme

Le libéralisme doit quant à lui se comprendre des contre-pouvoirs et autres mécanismes de limitation du pouvoir : la presse, le marché, le règne de la loi etc.

Mais le libéralisme ne suffit pas à faire un gouvernement, il faut encore une assise populaire, la légitimité, à ces mécanismes. La démocratie est aujourd'hui le régime qui est perçu comme le plus légitime quand ce n'est pas le seul ; il est en outre légitime per se en ce qu'il intègre tout le corps politique dans le processus électoral.

C'est pourquoi il est nécessaire de combiner les idées démocratique et libérale.

Et ce que nous appelons généralement démocratie est plus précisément la démocratie libérale, combinaison des idées démocratiques et libérales. Mais il est concevable que d'autres combinaisons se fassent.

La démocratie s'oppose à la dictature, le libéralisme s'oppose à l'absolutisme.


Victime de son succès, la combinaison est devenue confusion. Celle-ci est telle entre les deux notions que ce que défendent nombre les promoteurs de la démocratie est en réalité le libéralisme duquel la démocratie a été considérablement vidé.

Par exemple, il est à la mode actuellement de définir la démocratie comme le pluralisme or précisément le pluralisme n’a rien à voir avec la démocratie pure, qui est le gouvernement du peuple. Le pluralisme est, tout comme le libéralisme, un complément de la démocratie. A ces partisans, on serait tenté de demander s'ils préfèrent une démocratie sans pluralisme ou le pluralisme sans la démocratie...

Il convient donc de restituer leur sens aux mots et de bien distinguer les idées. Ainsi Hayek de nous montrer que le libéralisme n’est pas la démocratie, qu’il est possible de concevoir l’un sans l’autre et de les ordonner.

La même typologie que… Pierre Rosanvallon

Pour ceux qui ne sont pas convaincus, indiquons que la typologie présentée ici, distinguant les idées démocratique et libérale habituellement confondues, n'est évidemment pas propre à Hayek. On la retrouve aussi chez Pierre Rosanvallon, qui n'apparait pas être un ultralibéral.

Dans son ouvrage la démocratie inachevée, cet auteur nous présente un régime libéral mais sans démocratie et un régime démocrate sans le libéralisme.

Il s'agit des régimes respectifs de Louis-Philippe et Napoléon III.

Et en effet mieux vaut Louis-Philippe que Napoléon III.


III) La nécessité ponctuelle de la dictature

Par ailleurs Hayek affirme noir sur blanc qu’il est contre la dictature sauf lorsque cela est nécessaire à titre transitoire.

Or un tel énoncé est absolument évident. La dictature, au sens de l’institution romaine du pouvoir absolu mais caractérisée par sa légalité, sa légitimité et son caractère temporaire (typologie lue chez Aron) est nécessaire à n’importe quel régime.

La 5e République elle-même prévoit trois modes de dictature : les pleins pouvoirs de l’article 16, l’état d’urgence et l’état de siège.

Si la politique est un art du moindre mal et d'apaisement des passions, il arrive que les démagogues soient prêts de prendre la place des politiques. Il arrive aussi que le corps social se dissolve et que la guerre civile approche. Il faut alors sauver la démocratie libérale et la paix, et la dictature est nécessaire.
Cela est particulièrement vrai pour l'expérience historique qui a marqué Hayek : le renversement de la République de Weimar par les Nazis. Il eut été préférable que les anciennes élites ou les démocrates maintiennent de force le régime plutôt que le laisser aux démagogues, quelque démocratique soit leur légitimité.

Tout le monde de sensé sera d'accord avec ce constat... sauf si c'est Hayek qui le prononce...

Conclusion


Ce qui est remarquable avec cette boutade de Hayek, c'est qu'elle perd tout son caractère choquant si on apprécie avec un peu de rigueur son contenu.

La démocratie n'est pas une abstraction d'autant plus abstraite qu'on la définit comme un bien absolu, c'est un mode de désignation des gouvernants par le peuple qui peut faillir.

La dictature n'est pas que l'exercice illégal et illégitime du pouvoir, c'est encore la faculté que se réserve n'importe quel régime d'accroitre ses pouvoirs dans des circonstances exceptionnelles pour préserver le pays de la guerre civile.

dimanche 4 juillet 2010

Pourquoi les jeunes ne trouvent pas de boulot ?

Pourquoi les jeunes ne trouvent pas de boulot ?
Où il sera montré que Nicolas Sarkozy n'y est pas pour rien (pour augmenter mon tirage comme tous les journaux ?)


Deux raisons à la question en titre :

1) L'incompréhension de l'économie par les jeunes,
2) L'incompréhension de l'économie par les vieux.

Et je ne parle pas de la discipline de sciences sociales mais des interactions humaines d'échange et du circuit de production.

Commençons.

1) Les jeunes ne comprennent rien à l'économie

Loin de moi l'idée de jouer dans la démagogie anti éducation nationale pourtant le problème réside en partie dans notre système éducatif.

Aussi bien le contenu de l'enseignement que le mode d'enseignement ont des effets pervers.

Contenu - Le contenu de l'enseignement, abstrait, est très largement inutile à la vie professionnelle future. Il serait curieux de connaitre quelle part des travailleurs se sert de ses connaissances acquises à l'école pour son activité professionnelle ? Certainement une part faible.

Il n'est pas inutile d'apprendre l'histoire, le latin, la bio et la chimie. Mais ces enseignements n'ont pas de finalité pratique. Et du fait de leur nombre, ils prennent la place d'enseignement plus manuels. (un effet d'éviction)

Il est vrai que les élèves, fidèles à l'air du temps, ont peu d'estime pour les enseignements manuels.

Il est vrai surtout que la finalité réelle du contenu de l'enseignement n'est pas d'enseigner mais de sélectionner. Faut-il être satisfait de cette hypocrisie ?

Ainsi le système éducation nous apparait déjà séparé du système de production, ce qui me permet de venir à la seconde partie du problème, et la plus importante : le mode d'enseignement.

Mode d'enseignement - Après toutes ces années sur les bancs de l'école, l'élève en a assimilé la logique. En revanche il ne connait pas celle du monde du travail. Or les deux mondes obéissent à des règles très différentes.

A l'école il est demandé à l'élève d'être obéissant (y compris et même surtout dans les matières où l'on prétend faire exprimer de l'esprit critique). L'obéissance et donc les bonnes notes ouvrent toutes les portes. Dans le système scolaire vous êtes libre de vous orienter comme vous le souhaitez sous réserve d'avoir les notes qui le permettent. Et pour avoir ces notes, il faut bêcher. C'est la même logique que l'argent de poche. Il faut savoir doser entre réclamer et être sage.

Dans le monde du travail, l'obéissance est requise mais ce qui est demandé avant tout c'est d'être utile, productif. Il faut rapporter de l'argent, au moins pour couvrir son propre coût.

Mais l'étudiant, qu'il fasse des petits boulots ou pas, me semble rester prisonnier de la logique de l'école : il se croit en droit de choisir comme il le souhaite sa voie professionnelle en la payant de son effort.

Or il n'en est rien. Le travailleur en devenir n'entre plus dans une école mais sur le marché du travail. Il ne peut choisir ce qu'il veut mais ce que le marché offre. Le marché propose à peu près tout, mais pas aux même prix, le prix étant fonction de l'offre et de la demande et donc de l'utilité sociale de l'emploi requis et de la rareté des talents nécessaires.

En d'autres termes, à l'école on est au service de soi-même, dans le monde du travail on est au service d'autrui, ce car la contre-partie de la rémunération est le trravail effectué, le service rendu.

Le manque d'intégration entre le système éducatif et le système de production a ainsi pour conséquence de nourrir des illusions. Le monde du travail est fait d'emplois qui doivent satisfaire à la fois les producteurs et les consommateurs.

Croire que la société devrait fournir à chacun l'emploi qu'il souhaite est illusoire et égoïste. C'est en ce sens - et seulement en ce sens - que Thatche avait dit there is no such thing as society.


L'étanchéité entre circuis de l'éducation et de la production a aussi pour effet pervers de favoriser l'atomisation de l'individu. Cette atomisation se manifeste de plusieurs manières. D'une part, comme indiqué auparavant, il nourrit la croyance que l'individu choisit la voie qui lui chaut sans tenir compte de ce que la société demande.

D'autre part c'est le travail qui intègre le mieux dans la vie. A ce sujet, mentionnons la parfaite véracité d'une formule que les Nazis ont malheureusement corrompue : arbeit macht frei. Par cynisme ou pour tromper leurs victimes, les nazis plaçaient cette formule à l'entrée de leurs camps d'extermination. Néanmoins cette formule leur est largement antérieure et témoigne à mon avis d'une profonde vérité.


Un dernier mot sur l'artificialité du processus scolaire. Il est remarquable que les connaissances acquises à l'école sont en réalité très rapidement oublié. Preuve en est l'orthographe de tous ces élèves qui oublient sitôt quitté l'école ce qui leur a été enseigné pour se soumettre aux conventions des groupes qu'ils suivent.

Il faut se débarrasser de cette idée d'une école qui servirait de cocon où l'on enseignerait de façon neutre des connaissances à des esprits vierges.

Comment y remédier ?

Il m'arrive de penser qu'une solution pourrait consister en la mise en place d'une sorte de bourse des métiers dont les prix seraient communiqués aux élèves. Autrement dit, les élèves connaitraient les revenus de chaque emploi et pourraient se décider en fonction de ses prix, quitte à choisir être mal payé mais faire ce que l'on souhaite.

Mais une telle solution générerait vraisemblablement l'envie et la haine sociale.

Je me contenterai donc de conseiller l'intégration entre les systèmes d'éducation et de travail histoire de dissiper au plus tôt de tragiques malentendus.


2) Les vieux ne comprennent rien non plus à l'économie

Ceci est une hypothèse optimiste car pour expliquer leur comportement il y a une alternative :

- Les vieux ne comprennent rien non plus à l'économie,
- Ils sont malveillants et empêchent délibérément les jeunes d'avoir un travail.

La rigidité à l'entrée du marché du travail
On connait la chanson, le pendant des systèmes de protection sociale est l'accroissement du coût du travail et in fine le chômage

Puisqu'il n'est pas possible de renvoyer sans risquer de lourdes pénalités financières, on embauche moins.


Des arguments simples et rationnels mais pas compris par grand monde. C'est la théorie des insiders/outsiders. La nouvelle summa divisio du monde du travail, c'est celle qui sépare ceux qui ont un travail et sont protégés par le système, contre ceux qui n'ont pas de travail et sont en grande insécurité et doivent accepter divers types d'emplois précaires pour assurer les privilèges de la première catégorie.

Le cas du système de retraite par répartition (d'origine pétainiste d'ailleurs) est éloquent : non seulement il fait peser des charges toujours croissantes sur les travailleurs et donc augmente le coût du travail et in fine contrarie l'embauche des jeunes, mais en plus il consiste en un transfert de richesse des jeunes vers les vieux. Doublement antisocial.


La négation des différences de productivité

Les jeunes sont moins productifs en ce sens qu'ils ne sont pas formés et ne connaissent pas les routines et génèrent logiquement moins de production. Il faut ajouter à cela qu'on perd à court terme la productivité de leurs formateurs.


Cela est plus vrai dans les domaines de haute spécialisation.


En outre l'employeur prend un risque en embauchant une nouvelle personne car celle-ci peut se révéler incompétente et représenter un poids mort pour l'entreprise.


Le nouveau travailleur produit moins or c'est la production qui une fois vendue procure les revenus à l'entreprise et paie les salaires. En conséquence de quoi il est illusoire de croire que le nouvel entrant devrait être payé comme tous les autres salariés. Le nier c'est empêcher les jeunes d'obtenir du travail.


Dominique de Villepin, lorsqu'il était premier ministre, a institué brièvement le contrat première embauche (CPE) qui facilitait la rupture entre l'employeur et un jeune embauché en CPE. Interprété comme la précarisation du travail des jeunes, une telle mesure visait au contraire à faciliter l'intégration des jeunes dans le monde du travail.

De nombreux jeunes ont défilé et obtenu le retrait du CPE. Deux conséquences : ils ont supprimé un outil qui était fait dans leur intérêt, et ils ont pavé la voie de la victoire de Nicolas Sarkozy en éliminant au bon moment son principal rival à droite. Amusant, non ?


Au final la précarisation s'accroit. Elle n'est que la conséquence inéluctable d'une jeunesse qui se dirige vers des emplois que la société ne demande pas et un coût du travail trop élevé.


Emergent tout un tas d'emplois précaires. Le plus grand succès est celui du stage : il offre à l'employeur un travailleur peu qualifié, peu payé, corvéable et sans pérennité, il offre au stagiaire une vague formation et le droit d'inscrire une ligne de CV qui le rapproche du Saint-Graal : le CDI... Le stage permet surtout de court-circuiter toute la législation de protection des travailleurs.


Qui serre trop mal étreint. La protection des travailleurs se retourne contre les plus faibles d'entre eux.


En conclusion : que faire ?

Enseigner mieux l'économie ? Laissons tomber.

Il y a deux choses à faire : 1/ intégrer l'éducation et la formation professionnelle, 2/ assouplir la législation du travail.