Etes-vous quelqu'un de différent ?

lundi 24 novembre 2008

Les sources du conspirationnisme

Sans doute les conspirationnistes se croient des personnes originales, l'idée de ce texte est de montrer que bien au contraire ils sont le produit de deux préjugés immémoriaux.

Mon proverbe préféré est "on ne prête qu'aux riches", qui en plus de sa signification la plus évidente, met subtilement le doigt sur notre tendance à attribuer les causes des événements à ceux que nous estimons en mesure de les produire, parce que nous leur prêtons puissance et (mauvaises) intentions, en nous passant de preuve.

--Illustration--

Dans la rubrique "on ne prête qu'aux riches", l'Eglise catholique aurait sans doute une place à part : difficile de trouver une institution à laquelle on aurait prêté autant d'erreur et d'obscurantisme.

C'est ce que nous rappelle paradoxalement un article du monde.fr sur lequel je tombe ce soir, intitulé "Vatican : les Beatles ne sont plus à l'index".

Tiens, ils étaient à l'Index les Beatles ?

Euh en fait non, c'était juste une formule pour attirer le chaland, l'article ne parle pas une seule fois de l'Index (qui n'existe plus). L'article expose en fait comment l'Eglise catholique aurait pardonné aux Beatles. En effet une déclaration de Lennon comparant sa bande à Jesus avait rendu furieux des Chrétiens américains, qui avaient monté un autodafé de disques des Beatles.

Consternant sans doute mais quel rapport avec l'Eglise ? Si ce sont des Chrétiens américains il y a des chances qu'on ait plutôt affaire à des Protestants qu'à des Catholiques. Et puis quel rapport avec l'Eglise ? A-t-elle condamné, ou même simplement critiqué les Beatles ? Qu'importe. On ne prête qu'aux riches.

Ne jetons pas trop la pierre au monde.fr qui semble avoir répercuté la même dépêche que les autres sites d'information, simplement avec un titre pire.

Là où ça devient rigolo, c'est que lemonde.fr propose aux lecteurs abonnés de réagir. Vous avez donc droit aux comparaisons avec le Moyen-âge obscurantiste, à l'inénarrable référence à Galilée qui aurait lutté pour établir que la Terre était ronde (!), à un appel pour mettre le Vatican à l'index, aux pseudo-rappels historiques...

Les ratés ne vous ratent jamais. (Bernanos) On trouve aussi quelques personnes raisonnables qui tentent péniblement d'aller contre les idées reçues. Les idées reçues qui nous poussent à identifier le mal dans autrui sont àmha l'anthropomorphisme et la doctrine du caractère manifeste de la vérité.

--Anthropomorphisme--

La négation du hasard et de la nécessité de notre ignorance, le refus de considérer que les causes peuvent nous demeurer inexplicables, la tentation de donner aux causes des caractéristiques humaines a un nom : c'est l'anthropomorphisme. Nous expliquons ce que nous ne comprenons pas par l'exercice d'une action aux caractéristiques humaines.

L'anthropomorphisme a d'abord conféré une volonté aux choses. Il s'est peu à peu raffiné dans les dieux, puis Dieu au singulier, devenant de plus en plus abstrait et conceptuel au fur et à mesure que l'homme cessait d'interpréter le monde à travers lui-même.

L'homme moderne a cessé de croire que l'ordre naturel, les lois physiques dépendaient d'une volonté. Néanmoins l'homme moderne ne s'est pas résolu à accepter que l'ordre social lui-même n'était le produit d'aucun dessein et ne se commandait pas. Un nouveau mouvement a repris le flambeau de l'atavisme anthropomorphique, sous des oripeaux modernes. Son mot d'ordre est "Rien n'arrive par hasard", son nom est le conspirationnisme.

--La doctrine du caractère manifeste de la vérité--

Les conspirationnistes croient que la vérité est cachée, ce qui révèle leur adhésion à ce que Karl Popper appelle la doctrine du caractère manifeste de la vérité, qui considère la vérité comme quelque chose de manifeste, dont l'absence de manifestation trahit l'existence d'un obstacle, d'un voile, d'un complot obscurantiste, qu'il suffirait d'identifier et d'abattre.

--La conjonction : le conspirationnisme--

La conjonction de l'anthropomorphisme et de la doctrine du caractère manifeste de la vérité fait que à la fois nous cherchons une explication aux caractères humains, et nous voulons trouver un coupable à raison de l'absence de manifestation de la vérité.

Le résultat n'est pas nécessairement dangereux. Est inoffensive la croyance qu'un manque d'offrandes a fâché la pluie et causé la sécheresse. Est encore inoffensive la croyance selon laquelle l'étrange lumière vue pendant la nuit est celle d'un OVNI. Est seulement dangereuse, la croyance qui identifie le mal dans des personnes (autrui, cela va de soi), permettant de les déshumaniser avec bonne conscience.

A chaque époque et à chaque groupe son coupable : les sorcières, les spéculateurs, la presse, le cartel des patrons, le gouvernement, les ovnis, la fonction publique, Kissinger, les grandes entreprises, les intellectuels, les traders... Rien n'arrive par hasard et on ne prête qu'aux riches.

Je signale aux lecteurs intéressés que la comparaison du conspirationnisme avec la gnose est féconde. Pour les gnostiques, un démiurge maléfique empêche le véritable monde de s'exprimer. Voici une citation de Erich Voegelin à ce sujet, qui ne porte d'ailleurs pas Popper dans son estime (citation prise à RH, merci à lui) :

« Dans le monde rêvé des gnostiques, la méconnaissance de la réalité constitue le premier principe. Par conséquent, des actions qui, dans le monde réel, seraient considérées comme moralement insensées, compte tenu de leurs effets concrets, seront considérées comme morales dans le monde imaginaire, car elles visaient des effets tout à fait différents. Le fossé entre l'intention et la réalité ne sera pas imputé à l'immoralité gnostique qui consiste à ignorer la structure de la réalité, mais à l'immoralité d'une autre personne ou d'une société qui ne se comporte pas comme elle le devrait [...] Et la promptitude des rêveurs à stigmatiser la tentative de clarification critique comme une entreprise immorale ne facilite pas la tâche. De fait, presque chaque grand penseur politique qui a reconnu la structure de la réalité, de Machiavel jusqu'à nos jours, a été qualifié d'immoral par les intellectuels gnostiques - pour ne rien dire de ce jeu de société qu'affectionnent tant les libéraux, et qui consiste à traiter Platon et Aristote de fascistes. » (Eric Voegelin)

vendredi 14 novembre 2008

Hussein de Nagy-Bocsa

Comment identifier dans les articles de wikipédia les présidents des républiques US et française, grave question que voilà.

Obama et Sarkozy ont chacun un nom d'usage qui fait l'économie de termes du nom complet. Dans les deux cas, leurs détracteurs ont voulu attirer l'attention sur les noms occultés pour stigmatiser les origines des candidats.

Rappeler Hussein ou Nagy-Bocsa permet de dire sans le dire que le candidat n'est pas des nôtres. Manœuvre grossière et retour de flamme.

Sur wikipédia, c'est différent, nous ne sommes pas des faux-culs mais nous prétendons tendre à l'exhaustivité et donc il va de soi que le nom indésirable doit être mentionné. Quelle place lui accorder ?

En ce qui concerne le titre de l'article, la convention de nommage commande d'adopter le titre le plus court qui définit précisément le sujet. Cette convention est soulignée dans le texte... et contestée. Même à supposer que la règle soit renversée, le consensus est clair sur les personnalités : on indique en titre d'article le nom d'usage.

La dénomination dans le corps de l'article et sur les photos est de même le nom d'usage.

Mais alors, où indiquer le nom de l'état civil ? Réponse : d'une part dans les boites qui prévoient une entrée à cet effet, d'autre part, et surtout, à la première occurrence du nom, qui se trouve normalement en début de tout article.

C'est l'usage, très respecté pour les personnalités historiques, moins respecté pour les personnalités contemporaines, pour la bonne raison que leur nom complet nous est inconnu.

En ce qui concerne MM Obama et Sarkozy, sur la wikipédia anglophone, le premier est présenté comme "Barack Hussein Obama II" et le second "Nicolas Sarkozy, born Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa". La wikipédia française adoptait une présentation similaire jusqu'à il y a peu. Actuellement c'est discuté.

On remarque que les deux cas ne sont pas rationalisés. Il est vrai que le nom complet du président français en entier ferait une accroche lourde. En sens inverse, appliquer des règles générales permet d'éviter les différends.

mardi 4 novembre 2008

Obama - McCain : les Américains oseront-ils ? (édition 548121557²)

Confronté au déluge unanimiste de mièvrerie, ce blog sort enfin de sa réserve : votez McCain !

Mais les Américains oseront-ils ?


Oseront-ils voter contre le porte-drapeau de tous les intellectuels progressistes ?
Oseront-ils voter contre le candidat plébiscité par les médias ?
Oseront-ils aller contre le pouvoir de l'argent ?
Oseront-ils voter contre la réhabilitation de la réputation américaine aux yeux de l'étranger ?
Oseront-ils faire abstraction du ridicule d'une vice- candidate ridiculisée - avec quel courage et originalité - par tous les comiques ?
Oseront-ils passer pour des bigots créationnistes réactionnaires racistes ignorants ?
Oseront-ils reconnaitre qu'ils ont perdu le leadership mondial de l'intelligence, du progrès et des droits de l'homme au profit de... la France ? cocorico !

Sérieusement, comment peut-on être Persan pour McCain ?

Moi, pour deux raison :
1/ J'ai misé de l'argent sur Hillary voici un an, je limite mes pertes si Obama perd.
2/ Je suis fatigué de voir les Français donner leur opinion sur tout (y compris moi !).

Si encore l'opinion était intéressante, mais non. Prenons l'éditorial du monde, qui appelle à la victoire d'Obama. D'abord de quoi se mêle-t-il. Ensuite pourquoi tous ces clichés ? Le président sortant est dépeint comme un horrible néoconservateur ultralibéral par la faute duquel tous les malheurs sont arrivés (moi qui croyait que la paresse intellectuelle devait être punie). Enfin Le Monde nous explique qu'il faut voter Obama parce qu'il est métis, et en ce sens abondent de nombreux commentaires. L'analyse de Patrick Jarreau est du même tonneau. Au final nous n'avons rien appris sur les Américains mais beaucoup sur le Monde et ses lecteurs.

Mon analyse est que par effet de snobisme, le monde a acquis de nombreux lecteurs qui n'avaient pas le niveau. Que ces lecteurs souhaitaient imiter les classes supérieures en lisant le monde, mais aussi trouver confirmation de leurs idées reçues, comme n'importe quel lecteur de n'importe quel journal. Que la satisfaction de cette clientèle a conduit à une altération de la ligne éditoriale du journal. Qu'aujourd'hui nous avons un éditorial prêt à sacrifier à n'importe quel cliché pour croire que ce journal dirige son lectorat et non qu'il est dirigé par lui, sanction d'avoir eu la vanité de croire que les passions des masses doivent être orientées dans le bon sens plutôt que stoppées.

Toute cette autosatisfaction, cette paresse intellectuelle, cette mièvrerie autour d'Obama doit être sanctionnée. J'invoque l'effet Bradley, je sais qu'il est tard mais peut-être que ce post fera pencher la balance dans le bon sens. Si l'avis français était insignifiant, pourquoi les journaux français donneraient-ils tous leur avis ?

Mais les Américains oseront-ils ?