Etes-vous quelqu'un de différent ?

mercredi 30 décembre 2009

Of Self-love

Il ne s'agit pas de parler ici d'un wikipédien au pseudonyme prétentieux mais d'une notion mystérieuse de libéralisme économique.

Nous connaissons la fameuse citation d'Adam Smith.

L'homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c'est en vain qu'il l'attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s'il s'adresse à leur intérêt personnel et s'il leur persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu'il souhaite d'eux. C'est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j'ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même; et la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont si nécessaires, s'obtient de cette façon. Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur ''self-love''; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage.
Smith, la Richesse des Nations, chapitre II, Du principe qui donne lieu à la division du travail.

Cette citation est extrêmement célèbre. Remarquez que j'ai laissé le mot "self-love" non traduit. Généralement le mot est rendu par "égoïsme". Regrettable.

L'égoïsme est un vice exclusif du bien d'autrui tandis que le self-love est plus estimable, consistant en la recherche de son bien, sans exclure aucunement celui d'autrui. Un certain nombre de contre-sens part de là... La main invisible semble également poser beaucoup de problème (mais ce n'est qu'une métaphore).

Qu'est-ce que le self-love. Cette citation de Hume (encore un Ecossais) montre clairement qu'il n'est pas l'égoïsme :
I esteem the man whose self-love, by whatever means, is so directed as to give him a concern for others, and render him serviceable to society: as I hate or despise him, who has no regard to any thing beyond his own gratifications and enjoyments.
Hume, An Enquiry Concerning the Principles of Morals, appendice II : Of Self-Love

Et oui. L'explication de la société partant d'hommes égoïstes, soumis aux passions -si ce n'est aux vices- c'est en fait Mandeville et pas Smith. Pour la tradition libérale, l'homme cherche à réaliser son intérêt, qui correspond à un bien pour soi-même, mais sans que cet intérêt soit forcément égoïste. L'altruisme, l'humanité, la sympathie sont des passions humaines naturelles. La bonne action fait partie du self-love. La réalisation d'actions en apparence désintéressées est conforme à la recherche de l'intérêt personnel.

Hayek préfère parler de satisfaction de fins plutôt que de recherche de l'intérêt, incluant plus naturellement les fins désintéressées. Je préfère sa formalisation.

mardi 29 décembre 2009

Kissinger sur l'art de construire la paix

Voici un remarquable extrait de A World Restored, ouvrage de Henry Kissinger publié en 1964 consacré à la reconstruction de l'ordre européen à l'issue de l'épopée napoléonienne. Ce passage très riche s'intéresse à l'art de reconstruire la paix : autolimitation, rejet du vain désir de vengeance, lucidité politique, équilibre, légitimité. (p. 138)

Although every war is fought in the name of peace, there is a tendency to define peace as the absence of war and to confuse it with military victory. To discuss conditions of peace during wartime seems almost indecent, as if the admission that the war might end could cause a relaxation of the effort. This is no accident. The logic of war is power, and power has no inherent limit. The logic of peace is proportion and proportion implies limitation. The success of war is victory; the success of peace is stability. The conditions of victory are commitment, the condition of stability is self-restraint. The motivation of war is extrinsic: the fear of an ennemy. The motivation of peace is intrinsic: the balance of forces and the acceptance of its legitimacy. A war without an ennemy is inconceivable; a peace built on the myth of an ennemy is an armistice. It is the temptation of war to punish; it is the task of policy to construct. Power can sit in judgement, but statesmanship must look to the future.

These incommensurabilities are the particular problems of peace settlements at the end of total wars. The enormity of suffering leads to a conception of war in personal terms, of the ennemy as the «cause» of the misfortune, of his defeat as the moment for retribution. The greater the suffering, the more the war will be conceived an end in itself and the rules of war applied to the peace settlement. The more total the commitment, the more «natural» unlimited claims will appear. Suffering leads to self-righteousness more often than to humility, as if it were a badge of good faith, as if only the «innocent» could suffer. Each peace settlement is thus confronted with the fate of the ennemy and with the more fundamental problem whether the experience of war has made it impossible to conceive of a world without an ennemy.

Whether the powers conclude a retrospective peace or one that considers the future depends on their social strength and on the degree to which they can generate their own motivation. A retrospective peace will crush the ennemy so that he is unable to fight again; its opposite will deal with the ennemy so that it does not wish to attack again. A retrospective peace is the expression of a rigid social order, clinging to the only certainty: the past. It will make a «legitimate» settlement impossible, because the defeated nation, unless completely dismembered will not accept its humiliation. There exist two legitimacies in such cases: the internal arrangement among the victorious powers and the claims of the defeated. Between the two, only force or the threat of force regulates relations. In its quest to achieve stability through safety, in its myth of the absence of intrinsic causes for war, a retrospective peace produces a revolutionary situation. This, in fact, was the situation in Europe between the two World Wars.
Les vainqueurs de Napoléon surent restreindre leurs revendications (en particulier grâce aux efforts de Metternich wp bc et Castlereagh wp bc) et construire un ordre viable dans lequel la France trouvait une place et mettait un terme à ses projets de conquête.

La France qui vainquit l'Allemagne et l'Autriche en 14-18 ne sut pas faire preuve d'une telle sagesse. Elle essaya d'abaisser le plus possible l'Allemagne - voire elle l'humilia sans l'abaisser réellement. Le traité de Versailles fit le lit d'une Europe instable dans laquelle l'Allemagne était le pouvoir révolutionnaire. Pire encore, le principe d'auto-détermination qui fondait la légitimité du nouvel ordre, permettant à la France d'anéantir l'empire autrichien, allait devenir une arme entre les mains de Hitler pour annexer les régions peuplés d'Allemands sans réaction des puissances.

Au fond la Prusse n'avait pas fait preuve de davantage de sagesse en 1870 en proclamant l'empire allemand dans la galerie des glaces et en annexant l'Alsace et la Moselle, actions humiliantes et abaissantes condamnant la réconciliation future avec la France. Ainsi le deuxième Reich s'aliénait ce pays d'une part et la possibilité de s'allier avec lui d'autre part. Bismarck s'était d'ailleurs exprimé vainement contre l'annexion.

Plus près de nous et postérieurement à la parution de l'ouvrage de Kissinger, remarquons que l'action des USA en Irak et en Afghanistan, à la recherche d'une paix totale alimente plus qu'elle ne dissipe une situation révolutionnaire. Mais quel ordre est possible entre deux forces qui considèrent chacune l'autre comme le mal absolu ?

Note : on peut trouver le début de ce texte dans un dictionnaire de la diplomatie - comme quoi je n'ai pas le seul à avoir été frappé par la qualité de ce passage - mais il semble que la restitution est défaillante.

lundi 21 décembre 2009

google books en difficulté devant la justice française

Un mot pour regretter la condamnation de google qui numérise et met en ligne le contenu de livres sans permission des ayant-droits (à la propriété intellectuelle).

Il est vrai que le droit de citation est semble-t-il exclusif de visées commerciales en France. Partant ne critiquons pas la justesse de la décision mais la loi et la pertinence de l'action en justice.

Google propose en effet un service appelé google book qui permet de lire des extraits de livres, d'acheter les livres complets, de les trouver en bibliothèque, de lire librement depuis son PC les œuvres du domaine public, de retrouver les auteurs de citation, et pour autrui de faire du pov-pushing en dénichant dans l'océan de production littéraire la tournure qui servira à faire accroire son point de vue.

Mais voilà c'est fait par des Américains (impérialisme linguistique), c'est gratuit (ça cache qqch), c'est commercial (c'est mal).

Gallica, le service public français fournit un service plus nickel mais moins maniable, plus lourd, moins intégré (plus de clic, moins d'intuitif), moins accrocheur. De plus, pourquoi s'embêter à payer par les impôts un service que qqn veut bien faire gratuitement ?

Le côté commercial du service de google rebutte. C'est bien dommage car c'est précisément le caractère commercial de google qui implique que la compagnie doit vendre et trouver les moyens de vendre les livres. Autrement dit, si on cherche à augmenter la consommation de livre mieux vaut des commerciaux. Ceux-ci trouveront des moyens de pousser les gens vers les livres, ce que google books réussit très bien en combinant le net et le livre, relançant les perspectives du marché du livre. Qui s'en plaindra ?


Google se réserverait parait-il le droit de faire appel. A suivre.

dimanche 1 novembre 2009

Astérix et l'économie

Je signale un excellent article sur le blog Voxthunae : Anniversaire d’Astérix (2) : Obélix et Compagnie ou Goscinny vs Keynes. Une lecture économique convaincante d'Obélix et Compagnie qui ne tombe pas dans le piège du wishful thinking.

Et un autre Anniversaire d’Astérix (1) : Introduction et relecture du Domaine des dieux.

Écrits par un ancien participant de wikipédia que certains reconnaitront.

samedi 10 octobre 2009

Obamania, suite

Un article de plus sur Barack Obama qui vient de se voir décerné le prix Nobel de la paix. Certes l'intéressé n'a pas terminé les guerres d'Irak et d'Afghanistan, certes il n'a pas fermé Guantanamo, certes il n'a pas soutenu efficacement les démocrates iraniens, certes il est tout à fait possible qu'il intensifie l'effort de guerre américain, certes il n'a surtout pas fait grand chose mais le comité Nobel n'allait pas manquer de faire la leçon aux Etats-Unis en décernant une nouvelle fois un 3e anti-prix Nobel par procuration à G. W. Bush. Ce faisant, il n'est pas certain qu'il ait rendu service au lauréat.


I/ Contre Bush

Qu'on regarde les noms de quelques lauréats récents du prix Nobel de la paix, sachant que Bush commence son premier mandat début 2001 :

*2002 : Jimmy Carter, ancien président des USA,
*2008 : Al Gore, ancien vice-président des USA et candidat malheureux contre Bush,
*et 2009 : Barack Obama, supposé mettre un terme aux aventures néocons.

Remarquons que Jimmy Carter a été récompense du Nobel pour la même raison que les électeurs américains ont refusé de le reconduire pour un second mandat : sa politique étrangère, qui apparait pacifiste aux européens, faible aux américains - ce qui n'est pas incompatible.

Remarquons qu'Al Gore a été récompensé pour s'être fait le porte-parole d'une cause essentiellement européenne, la lutte contre le réchauffement climatique. On s'était déjà demandé à l'époque quel était le rapport avec la paix.

Remarquons enfin qu'Obama est extrêmement populaire en Europe, davantage que dans son pays. Et d'ailleurs si la presse européenne exulte - ce qui risque de ne pas durer -, la presse des Etats-Unis est plus circonspecte. Lucide, le New Tork Times sous-titre The Nobel Peace Prize is a reminder of the gap between the ambitious promise of President Obama’s words and his accomplishments.

Les trois nobélisés s'opposent tous à George Bush : le premier est idéaliste version sécurité collective, le deuxième a perdu les élections contre lui, le troisième lui succède. Outre leurs qualités objectives, on peut penser que le comité Nobel leur en a ajouté une, qui est de ne pas être George Bush et sanctionner ce dernier à travers eux. Derrière ces trois prix Nobel, il y a un anti-prix Nobel.

II/ Un cadeau empoisonné

Il ne revient pas aux Européens de donner des bons et des mauvais points aux Américains. Ils n'ont pas l'autorité morale qu'ils se complaisent à afficher et ne savent pas que les Américains interprètent les politiques européennes comme des témoignages de faiblesse. Les néocons décrivent les européens comme des Munichois en puissance ; la plupart des Américains n'ont pas une opinion si tranchée néanmoins ils rejettent dans une large mesure un angélisme européen qui a pour pendant la diabolisation des Etats-Unis.

De surcroit, lorsque l'Europe fait l'éloge d'Obama et condamne Bush, lorsqu'elle s'attribue le premier et rejette le second, elle joue le jeu de ceux qui disent qu'Obama n'est pas vraiment Américain, qu'il n'a pas l'esprit du pays tandis que Bush, lui l'aurait. Les alliés européens d'Obama sont décidément embarrassants.

En attribuant le prix Nobel à Obama, le comité Nobel, émanation du parlement norvégien dirigée par l'ancien vice-président de l'internationale socialiste, donne des munitions aux détracteurs du président américain. Ceux-ci vont se faire un plaisir de dénoncer Obama comme l'homme des valeurs européennes, comme un pacifiste mièvre, faible et inconséquent.

Et si l'on regarde les noms des lauréats du passé, force est de constater que le prix Nobel de la paix a davantage récompensé les pacifistes que les promoteurs réels de la paix. C'est assez frappant concernant l'entre-deux guerres qui récompense les partisans des accords de Locarno, par lequel les Français offrent des remises de dettes définitives à l'Allemagne en échange de quelques concessions déjà contenues dans le traité de Versailles, les promoteurs du pacte Briand-Kellogg, qui décidait d'empêcher la guerre en l'interdisant, ou des membres de l'impuissante SDN. On remarquera aussi des prix pas très judicieusement placés : un certain nombre d'inconnus nommés pour tenter de faire pencher la balance dans le bons sens ou encore Arafat, Le Duc Tho, Kissinger, et surtout Wilson, dont le principe de libre-détermination des peuples, héritier du principe des nationalités de Napoléon III, devait faciliter les premières annexions de Hitler et causer tant de mal (pour la bonne raison qu'une fois qu'on a dit que l'Etat doit correspondre à une nationalité, on commence à refaire les frontières et on finit par déporter les populations).

Ainsi Obama rejoint cette drôle de liste, attributaire d'un prix qui doit plus sa réputation à l'aura des prix voisins qu'à son autorité. Ce prix pourrait lui couter cher politiquement. Il en a parfaitement conscience : il a calmé le jeu et rappelé ses devoirs de chefs de guerre dans son discours. En récompensant Obama sans véritable raison objective, le comité Nobel confirme que le président est décidément le véhicule de tous les fantasmes et l'otage de ses groopies.

jeudi 24 septembre 2009

Défense de rupture

Rendue célèbre par Me Jacques Vergès, rarement formalisée, la défense de rupture se définit comme la stratégie judiciaire consistant à jouer l'opinion publique contre l'institution de la justice.


Elle a été employée avec brio dans l'affaire Omar Raddad. Celui-ci était condamné par la justice pour le meurtre de sa cliente, qui avait écrit de son sang "Omar m'a tuer", sur un mur . L'affaire était pliée lorsque l'avocat de l'inculpé, Me Vergès, prenait les journalistes à témoin et s'exclamait : « Il y a 100 ans on condamnait un officier car il avait le tort d'être juif, aujourd'hui on condamne un jardinier car il a le tort d'être maghrébin. »

Ce faisant il discréditait l'accusation comme raciste et parvenait à atteindre les préjugés de l'opinion publique, flattée de pouvoir prendre la cause d'une erreur judiciaire motivée par le racisme. Evidemment le procès était perdu mais le pouvoir politique devait intervenir pour satisfaire l'opinion et gracier le condamné.

Chapeau l'artiste. Pour cette fois-ci du moins car la plupart du temps la défense de rupture assure la condamnation du mis en examen sans grâce au bout de la route.


Plus récemment un autre inculpé célèbre a pratiqué une stratégie de la rupture : Yvan Colonna. Ses avocats dénoncent continuellement l'honnêteté de la procédure, font preuve à l'audience d'un comportement extrêmement désagréable. Ils s'adressent aux journalistes et non au tribunal car ils cherchent à toucher l'opinion publique, à la flatter cette fois sur l'air de "moi on ne me la fait pas." Ils claquent finalement la porte, de façon à imputer la condamnation de Colonna non pas à sa culpabilité mais à la volonté arbitraire d'une cour illégitime. L'avocat général de l'affaire, Jean-Jacques Krauss, a raconté les artifices employés par la défense.

L'optique est différente de l'affaire précédente : pour l'inculpé il ne s'agit pas tant de se ménager une grâce présidentielle future que de chercher à affaiblir l'Etat en discréditant sa justice comme politique. En quelque sorte et dans cette espèce la défense de rupture est la poursuite du terrorisme par d'autres moyens.


Une dernière affaire, qui se déroule actuellement, semble exposer une dernière stratégie de rupture : la défense de Dominique de Villepin dans le procès dit de l'affaire Clearstream. Me Thierry Herzog compare la défense de l'ancien premier ministre à la stratégie de Colonna. cf lemonde.fr : Pour Thierry Herzog, le mode de défense de Dominique de Villepin consiste à "imiter procéduralement Yvan Colonna".

De fait Villepin cherche à faire apparaitre sa présence devant la Cour d'assise comme un procès politique, produit de la volonté de son ennemi politique devenu président et d'une justice aux ordres. Le socialiste Montebourg a immédiatement embrayé sur une présentation aussi agréable.

Evidemment il n'y a aucune preuve mais le discours de rupture, comme dans les affaires précédentes, vise les passions et les préjugés de l'opinion publique. Alors que des accusations irréfutables devraient être tenues pour fausses, le soupçon entourant l'action de Nicolas Sarkozy transfigure le discours de Villepin et lui prête les vertus du courage, de l'honnêteté, du sacrifice.

Contrairement à Colonna, qui s'attendait à la peine maximale et n'avait rien à perdre, Villepin - qu'on me pardonne le rapprochement - estime probable une faible condamnation - n'étant là que pour des infractions commises essentiellement par abstention - et a donc tout à gagner à l'exposition médiatique qui peut le remettre en selle.

En effet la stratégie des ousiders de droite c'est de compter sur un effondrement de Sarkozy. Si un Villepin ou un Bayrou parvient à se hisser au second tour, il a ses chances de victoire en capitalisant sur l'antisarkozysme. Villepin a dès lors tout intérêt à profiter au maximum de l'opportunité que le Président lui sert.


Finalité variable, stratégie constante : la défense de rupture est négation des institutions, éloge du soupçon, flatterie de l'opinion.

dimanche 30 août 2009

Le Jargon du Diable

Vous connaissez peut-être le Dictionnaire du diable d'Ambrose Bierce, chef d'oeuvre de cynisme et d'humour noir, disponible dans sa version anglaise originale sur le net ici.

Sachez qu'un wikipédien a eu l'idée d'en faire un pastiche voici un moment, appellé le Jargon du Diable, en prenant pour thème la communauté wikipédienne. Le résultat, visible sur une sous-page de son profil est plutôt réussi mais plus vraiment à jour, son auteur, Keriluamox, s'étant faché avec le projet. Du coup le travail est figé, ce qui n'est peut-être pas plus mal et épargne l'effort de rejeter les propositions pas toujours éclairées proposées en page de discussion.

Je vous invite à aller voir le travail, que vous soyez wikipédien et aimiez l'humour un peu grinçant, ou que vous ne soyez pas wikipédien et ayez envie de mieux connaitre l'encyclopédie et son jargon, avec un autre regard que celui des amateurs jaloux et des critiques mal informées.

Quelques exemples :

Hors critères : Autopromo prématurée de quelques années.

Internationalisation : Ajout de sections sur la Belgique, la Suisse et le Canada.

Neutralité : Art de lister toutes les opinions ramassées sur des blogs comme alternatives divisant les spécialistes.


Le reste est ici : [[Utilisateur:Keriluamox/Le_Jargon_du_Diable]].

Et si ça ne vous suffit pas, lisez les propositions en pdd. Les courageux -ou les téméraires- tenteront leur chance et proposeront de nouvelles entrées.

lundi 27 juillet 2009

Les suites de l'affaire Fofana sur une pente glissante

Quelques mots sur les regrettables développements de l'affaire Fofana.

Depuis le rendu de la décision contre Fofana et sa bande, la situation ne cesse de se détériorer. Alors que le procès était apparu comme un succès, succès crédité en partie à son médiatique avocat général et excellent esprit, Philippe Bilger, la famille des victimes a largement remis en cause la justesse de ce verdict à l'égard des co-accusés, n'aboutissant pour l'essentiel qu'à faire fondre le capital de sympathie dont elle bénéficiait. Histoire d'un fiasco.


Le premier évènement, c'est une dénonciation du verdict déphasée de la perception publique. Cela est en partie un effet malheureux du huis clos, qui fait que la partie civile et l'opinion n'ont pas vu le même film. Mais ça n'explique pas tout. Il y a surtout un sentiment d'aliénation d'une partie des Juifs français, qui trouve une expression. Des incantations excessives telles que la shoah recommence en France discréditent ceux qui les proclament, quelle que soit la douleur d'avoir perdu un être cher, une douleur que les autres ne peuvent jamais entièrement comprendre. Mais l'excès montre une chose : beaucoup de Juifs sentent une insécurité croissante tandis que la plupart de la société française trouve que la communauté juive crie au loup. Est reproché à la décision de ne pas retenir le caractère antisémite du crime. Mais si l'enlèvement de Ilan Halimi a bien sur un lien avec l'antisémitisme, ce crime n'est pas directement antisémite en ce que les criminels voulaient obtenir rançon d'une personne qu'ils croyaient riche, à raison des préjugés qu'ils nourrissent contre les Juifs.

L'excès des réactions ne doit pas cacher qu'il y a bien un gros problème en France actuellement, que les Juifs dénoncent trop souvent isolés. Il est en effet devenu courant dans le langage jeune et de banlieue de se servir du mot juif comme insulte, pour désigner un objet cassé ou un personnage malveillant. Et ce qui devrait être perçu comme la dernière vulgarité apparait à ses auteurs comme une transgression plaisante ou un conformisme légitime.

Quoi qu'il en soit, le procès était celui de Fofana et de sa bande et pas de l'antisémitisme. Il fallait accepter la justice rendue, au moins pour éviter de quitter l'ascendant moral et descendre dans l'arène.


Le deuxième événement, c'est un appel calamiteux et parfaitement inopportun. Les parties civiles ne pouvaient faire appel et le pouvoir politique l'a fait à leur place. Image désastreuse d'une justice à deux vitesses qui se coule si facilement dans le mythe des Juifs aux manettes. Évidemment l'origine de cet appel c'est quelque chose entre le copinage politique de l'avocat des victimes et de la garde des Sceaux, si proches au RPR, cumulé à du zèle politique mal placé. Mais le cliché est tiré. Stupéfiant de maladresse.


Le troisième évènement est la campagne, grotesque de part en part, menée contre l'avocat général. Nous avons BHL, dont les compétences juridiques ont été légitimement mises en doute, qui s'en prend personnellement au magistrat et attise les flammes ; l'avocat de la famille des victimes, Me Szpiner, qui commet des déclarations incendiaires violant son obligation de délicatesse et confondant les problèmes ; le Monde qui publie deux tribunes, l'une défavorable au verdict, l'autre favorable, mais en réalité toutes deux des charges contre l'avocat général... Cette personnalisation donne l'impression de chercher un coupable et révèle d'autant plus la déconnexion du monde de la partie civile, saisie d'une fièvre obsidionale, et de la société.


Mais cette fièvre va peut-être redescendre car on a appris lundi que le parquet a demandé au bâtonnier d'ouvrir une enquête sur les propos prêtés à Me Szpiner, selon lesquels il aurait traité Philippe Bilger de traître génétique, déclaration déshonorante dont on ne peut qu'espérer qu'elle marque le nadir de toute cette histoire et que désormais les choses vont s'apaiser. Et il faut que l'affaire se calme au plus vite : car il ne faut pas oublier que cette histoire est avant tout - et surtout avant la polémique - celle d'un jeune Juif torturé à mort par un monstre qui n'a pas regretté ses actes et a provoqué la famille pendant le procès. On voit aujourd'hui avec quel succès.

lundi 13 juillet 2009

Crise ou coup d’Etat au Honduras ?

Il était une fois un président populaire et antilibéral, hostile aux institutions républicaines qui lui interdisaient de briguer un second mandat de quatre ans dont il chérissait l'idée. L'emploi de la force mit fin au blocage et, vous avez bien compris, Louis-Napoléon Bonaparte conservait ainsi le pouvoir qu'il aurait du rendre, et le convertissait un an après en titre impérial.

Ce 28 juin 2009, le président du Honduras eu nettement moins de chance. Il a été arrêté puis expulsé par l’armée, soutenue par la Cour suprême et le Parlement. Très vite, le président a acquis le soutien de la communauté internationale, sans que cela le remette en place.

On a très vite qualifié les évènements de coup d'Etat, une qualification que je rejoins in fine quoique je pense qu'elle mérite d'être disputée, ce qui est d'ailleurs le cas sur les wikipédias. Cette qualification mérite d'être disputée parce qu'elle attribue un peu vite les rôles. Pour la communauté internationale, il semble cependant que le procès soit déjà terminé.

I ) Un unanimisme international


Unanimisme, c'est bien le mot pour décrire la réaction de la communauté internationale. Certes il y a des nuances mais de façon générale on critique fiévreusement ou alors on critique, ou on dénonce. Les positions des pays s’étalent de la qualification de coup d’Etat assortie d’une condamnation et d’un appel à remettre en place le président, jusqu’à la dénonciation de la suite de l’emploi de la force et des appels à respecter la démocratie et l’état de droit (en réalité des formules génériques que chacun peut prendre pour soi).

Il faut cependant comprendre que cet unanimisme ne nous apprend pas grand chose sur les événements au Honduras, mais bien davantage sur la façon dont on doit gérer l’opinion publique dans ce type de crise.

Aucun Etat ne veut en effet être attrapé en flagrant crime de lèse-opinion publique. D’une certaine façon le rêve des doctrines idéalistes en matière de relations internationales s’est réalisé : l’opinion publique compte. Mais pas comme prévu. Pas comme une force populaire au soutien d’une démocratie libérale fin de l’histoire, plutôt comme une passion qu'on ne veux pas avoir contre soi.

Cet unanimisme à critiquer le changement brutal de pouvoir, qu'il soit ou non qualifié de coup d'Etat, a ainsi le mérite de couper l’herbe sous le pied des démagogues américains, toujours prêts à stigmatiser les États-Unis. Chavez et ses amis, après avoir commencé leur réquisitoire contre les États-Unis, ont du faire machine arrière et se contenter de prêter aux riches.

Les événements se glissent facilement dans la matrice de l’éternel coup d’Etat subi par une république bananière. La facilité devrait générer un peu de doute malheureusement pour beaucoup de monde, c’était un slam dunk et on s’est précipité à interpréter en noir et blanc ce qui était complexe.

II ) Une qualification disputable

La réalité est toujours complexe. La définition d’un coup d’Etat elle-même n’a rien d’évidente. J’ai d’ailleurs du la revoir lors de la crise, aidé par quelques manuels (l’article de wp:fr reste à revoir si ce n’est à recycler).

Observons notre définition. Un coup d’Etat est un renversement du pouvoir qui se caractérise plus par son illégalité que par sa brutalité : l’illégalité est nécessaire, la violence n’est que contingente. De surcroit le renversement émane d’une autorité constituée c.-à-d. qu’une section de l’Etat s’empare du tout.

Incidemment ces deux caractéristiques permettent àmha de distinguer le coup d’Etat du putsch - plus violent, plus extérieur à l'Etat - encore que généralement on les traite comme synonyme.

Le coup d’Etat se distingue de la révolution, pour laquelle on prête une part plus active à la population. Pour cela, nombre de coups tentent de se faire passer pour des révolutions.

En l’espèce la qualification du renversement du président Zélaya en coup rencontre des difficultés : celui-ci voulait effectuer une consultation populaire dans des formes que la Constitution ne prévoyait pas (cette consultation était donc interdite) pour le motif transparent de permettre la réélection du président, ce que la Constitution non seulement interdit mais prescrit en plus le prononcé de la haute trahison…

La Cour suprême avait logiquement jugé un tel scrutin illégal et c’est donc avec l’aide de Chavez, qui lui fournissait les bulletins, qu’il intimait à l’armée de procéder à la mise en place du scrutin. Celle-ci avait refusé.

Les partis politiques, qui avaient décidé de s’abstenir de ce scrutin, s’opposaient à Zelaya, y compris son propre parti - on notera que le président par intérim est issu du même Parti Libéral que Zelaya. Le Parlement était à quelques voix près entièrement tourné contre le président.

Ainsi, vu de prêt, le président de Honduras n’est pas le grand démocrate empêché par les forces réactionnaires que le public espérait. Mais peu importe, on tenait enfin une bonne cause, on n’allait pas la lâcher.

III ) Les conséquences en fonction des wikipédias

Comment nommer l’article traitant de la crise ?

L’alternative se résume généralement à des titres comme Coup d’Etat au Honduras de 2009 et Crise constitutionnelle au Honduras de 2009.

Et la guerre fait rage. Du moins cela dépend des wikipédias. Par curiosité je suis allé comparer les wikipédias les plus importantes.

Ainsi sur l’anglaise, ça révoque :

Trois fois le 28 juin
Une fois le 30 juin
Quatre fois le 02 juillet
Deux fois le 05 juillet
Et depuis le 11 juillet nous avons : 2009 Honduran constitutional crisis, article semi-protégé, et à l’enjeu si important qu’on vient me demander mon avis sur ma pdd pour le débat (oui le débat anglais).

Chez les Teutons, Militärputsch in Honduras 2009 n’a jamais été retouché.

Chez les Espagnols, on note une guerre d’édition les 29 et 30 juin.

En France, rien. Mais on peut voir en pdd qu'il y a eu des tentations.


IV ) Un coup d’Etat quand même ?

J’entends bien la préoccupation de ceux qui veulent titrer la crise en évitant de la qualifier de coup d’Etat, ce qui leur apparaît comme une violation de pov.

Les arguments sont intéressants mais quand on a montré que le comportement de Zelaya était autocratique et violait les institutions démocratiques, on n’a pas montré que ce n’est pas un coup qui l’a renversé.

Or quelques soient les violations de la Constitution de la Constitution que Zelaya avait commises, et surtout celles qu’il s’apprêtait à commettre, et quand bien même c’est lui qui aurait franchi le Rubicon en ordonnant un referendum illégal, c’est bien l’armée qui l’a déposé hors formes légales. Certes ces formes légales n’existaient pas : les institutions ne pouvaient destituer le président dans les temps en respectant le cadre constitutionnel. On était donc dans une situation de verrouillage, et c’est l’armée qui a liquidé le jeu. Se pose aussi le problème de savoir qui a eu l’initiative du renversement. Si on accepte l’idée que la constitution inflige automatiquement la peine de trahison de la patrie et donc la déchéance du président qui viole l’interdiction de se représenter, il n’en reste pas moins le problème de savoir qui a le droit de faire de telles qualifications. Blocage.

Quoi qu’il en soit, il y a bien violation de la légalité. Les objections à ce fait ne peuvent porter que sur la légitimité de cette violation.

Outre la violation de la légalité, notons l’emploi de la force contre Zelaya. Le coup n’est pas sanglant, l’emploi de la force semble s’être cantonné essentiellement à arrêter et expulser Zelaya au petit matin. Néanmoins c’est l’emploi de la force qui a déterminé l’issue du verrouillage constitutionnel.

Enfin les bénéficiaires et instigateurs sont des autorités constituées. Certes normalement c'est le titulaire du pouvoir exécutif qui renverse le reste de l'Etat. Ici c'est l'inverse mais le critère est bien rempli.

Pour toutes ces raisons, il n’est pas déraisonnable de croire que le coup d’Etat est constitué. Il ne faut cependant pas découler immédiatement de cette qualification qu’il faille le condamner. Certains medias ont parlé d’un coup d’Etat d’un genre nouveau voire d’un coup d’Etat étrangement démocratique, comme c'est le cas du Wall Street Journal.

Le traitement de la crise par les partisans d'appeler le schmilblick un coup d'Etat montre une fois de plus qu'il ne faut jamais réduire la réalité à une opposition manichéenne. Le traitement par l'autre camp nous rappelle qu'on ne se trompe jamais autant qu'à travers les erreurs de ses contradicteurs.

mercredi 17 juin 2009

Velupillai Prabhakaran

Les dictateurs sont souvent de grands malades, dont on se demande comment rationnellement ils peuvent se maintenir au pouvoir. Velupillai Prabhakaran, abattu le 17 mai 2009, n’aura jamais eu l’occasion de s’établir comme dirigeant de la partie tamoule du Sri Lanka qu’il entendait rendre indépendante. Le caractère dictatorial et inhumain de son pouvoir, sa personnalité délirante, sa mégalomanie méritent de le comparer à des dictateurs effectifs. Velupillai Prabhakaran a sa place auprès de Marcos, dont l’épouse avait accumulé 20.000 paires de chausures, Bokassa, qui s’était fait sacrer empereur par une cérémonie somptuaire, Ceausescu qui avait rasé le centre-ville historique de Bucarest pour bâtir des horreurs gigantesques, ou Trujillo, mulâtre psychopathe qui se teignait en blanc, violait des gamines et se préparait une tombe grandiose au Père Lachaise.

Velupillai Prabhakaran était le chef des Tigres tamouls, une organisation militaire qui tenait une guérilla depuis 1976 contre le pouvoir srilankais pour obtenir l’indépendance des territoires tamouls. Ce chef de guerre se distingue par sa violence et son fanatisme. Il tourne ses armes non seulement contre l’ethnie cingalaise mais aussi contre les tamouls modérés, éliminant tous ses rivaux et assassinant les hommes politiques qu’il juge trop conciliants.

Aussi horrible que ces actes puissent paraître, on peut encore concevoir qu’ils soient ordonnés par la raison, quoique malsaine. La suite de l’étude du personnage montre que tel n'est pas le cas.

Velupillai Prabhakaran, obsédé par sa personne, se faisait huiler plusieurs fois par jour, vivait dans le grand luxe, mettait en scène avec soin – à son niveau – son image auprès des émigrés, auxquels il soutirait de quoi poursuivre ses campagnes. Classique.

Plus original, Velupillai Prabhakaran est un amateur de films de guerre américains et cet attrait se révèle riche de conséquences. Il tire de ces films une inspiration pour son propre comportement. Il se promène ainsi, du moins c’est ce qu’il fait croire, avec une capsule de cyanure autour du cou ! Il prétend également pouvoir s’enfuir en sous-marin si les choses tournent mal (ces détails sont donnés dans sa nécro du journal The Economist). William Dalrymple, le célèbre écrivain écossais, rapporte dans un de ses livres que les exploits militaires que les tigres tamouls lui racontaient reprenaient littéralement le scénario de certains films... Et en effet les films américains servaient également à élaborer les plans d’attaque, ce qui conduisit à des attaques particulièrement téméraires... et désastreuses.

Il faut ajouter à cela que les Tigres tamouls sont les premiers combattants contemporains à utiliser l’attentat suicide, bien avant les islamistes. Cette arme a causé un grand nombre de morts dont celles de personnalités politiques telles que Rajiv Gandhi, dont la veuve est actuellement la personnalité politique la plus importante de l'Inde.

L'aventure est terminée. Les Tigres tamouls ont terminé écrasés et leur chef abattu alors qu’il s’enfuyait. Sans doute les Tamouls ont-ils des raisons de se plaindre du traitement que leur réserve un Etat contrôlé par une autre ethnie mais une guérilla dirigée par un psychopathe ne pouvait mener qu’au désastre. Comme disait Raymond Aron, de mémoire, la grande aventure d’un homme se termine en tragédie pour son peuple.

jeudi 14 mai 2009

les bonnes nouvelles du moment

* Britannica me ré-offre un an. Aimer wikipédia n'empêche pas d'apprécier l'immense valeur de la meilleure encyclopédie du monde. Cela me permet de vous faire lire les articles que je veux, par exemple Henry A. Kissinger (United States statesman).

* Chacun ses options politico-philosophiques : certains sont athées, d'autres socialistes, d'autres croient à la licorne rose, on a des centristes, on a de tout. Moi ? Moi j'ai raison, et j'ai créé une boîte utilisateur pour l'indiquer de façon sympathique sur mon profil : ici.

* En avant Guingamp a gagné la coupe de France.

* C'est le mois de mai, profitez-en :)

dimanche 19 avril 2009

Le processus éditorial sur wikipédia

Sur wikipédia, nous n'avons pas de comité éditorial. Les personnes extérieures se demandent souvent comment l'information est traitée et sélectionnée. Sans comité éditorial, comment empêcher chacun de faire de la publicité ? ou la promotion indue d'une opinion ? ou introduire des informations fausses ?

Si wikipédia n'a pas de comité éditorial, elle possède cependant un processus éditorial éliminant vandalismes, aberrations et dégradations. Ce texte a pour but de présenter ce processus éditorial.

Rappelons tout d'abord que n'importe qui peut techniquement contribuer sur wikipédia : s'inscrire n'est même pas nécessaire pour éditer. La contribution n'en est pas moins filtrée (I) puis appréciée (II).

I) Le filtrage

Des robots tournent sur wikipédia, comme par exemple Salebot, le bot de Gribeco. Les robots détectent les vandalismes utilisant des termes obscènes, blanchissant des articles sans raison et les révoquent automatiquement.

De plus, une communauté réunie sur un chat, suit en direct les dernières interventions à travers des canaux ou des programmes tels que LiveRC. Sur ce dernier, sorte de shoot them up, les patrouilleurs voient chaque modification défiler sur un écran, assortie des informations telle que le nom de l'article - et donc son potentiel à attirer les vandales -, l'identité de l'auteur (nom d'utilisateur ou adresse IP) - une IP est plus susceptible de vandaliser -, le statut de l'auteur et son passif éventuel, la taille de la modification. Ils peuvent consulter un aperçu et décider de révoquer.

Il est ponctuellement reproché aux patrouilleurs d'avoir la gâchette facile, éliminant des contributions en fait utiles, ou validant involontairement des vandalismes en n'éliminant que le dernier d'une série. Leur travail est dans l'ensemble très efficace et fait gagner du temps en aval du processus éditorial.

Robots et patrouilleurs éliminent vandalisme et aberrations, il reste à apprécier la matière qui a passé le filtrage.

II) L'appréciation

Chaque utilisateur dispose d'une liste de suivi qui ordonne des articles par ordre de dernière modification. Une telle liste est personnelle, elle se constitue le plus généralement avec le temps, accumulant les articles auquel le contributeur a participé.

La liste de suivi est un outil de veille. Parmi les personnes qui suivent un article, plusieurs vont chacune de leur côté apprécier la valeur des modifications apportées à l'article. Si les modifications sont estimées néfastes elles sont supprimées ou corrigées. A défaut de rectification, la modification a passé avec succès le jugement d'un nombre indéterminé de wikipédien.

Le plus l'article est important ou trollogène, le plus il est suivi et le plus les ajouts sont appréciés par un grand nombre de personnes.

En cas de désaccord éditorial, la page de discussion permet de discuter du bien-fondé des positions de chacun. Une sorte de comité éditorial spontané se forme. Les intervenants ne sont souvent pas particulièrement qualifiés mais ils sont intéressés à la rédaction et cherchent l'information et la formulation la plus juste.

Si la discussion ne permet pas de résoudre le désaccord, les principes fondateurs et règles de wikipédia doivent permettre de trancher : les faits doivent être fondés sur des sources qualifiées, les points de vue attribués. En théorie du moins. L'expérience montre que le standard change envers les usual suspects.

Au terme de ce processus mécanique, l'information est installée. Elle peut néanmoins être remise en cause à tout instant.

Ainsi Wikipédia n'a pas de comité éditorial et pourtant elle tourne. Le processus ne garantit pas une information fiable à 100%, ce qui n'est pas notre prétention, mais un résultat satisfaisant qu'il revient à chacun d'approfondir et croiser avec d'autres sources.

jeudi 2 avril 2009

Arguments raisonnables mais non rationnels

Une discussion qui doit se résoudre par des arguments rationnels exclut les sophismes et certains procédés qui s'ils ne sont pas rationnels ne sont pour autant pas nécessairement illégitimes.

Deux de ces procédés ont mauvaise réputation et pourtant ont une importance capitale dans l'élaboration des articles de wikipédia, encore que nous ne les désignons pas par leur véritables noms : ce sont les arguments d'autorité et ad hominem.

I) Argument d'autorité

L'argument d'autorité a mauvaise réputation. Fréquemment confondu avec l'argument du bâton (argumentum ad baculinum), il ne signifie pas que l'on menace ou bat son contradicteur mais qu'on évacue le débat en le tranchant par l'invocation d'une autorité. L'autorité peut être aussi bien celle d'un texte sacré que d'un ascendant ou d'une personne qualifiée dans une discipline.

Sur Wikipédia, est rejeté ce que l'on appelle le point c'est-à-dire la tentative de prouver son point de vue empiriquement (cf [[wp:point]]), ce qui inclue en réalité toute tentative de démonstration personnelle. Il faut relier les informations à des sources, les analyses à des auteurs c'est-à-dire à des autorités.

Lorsque nous soutenons que la neutralité de point de vue signifie qu'il ne faut ni affimer ni laisser entendre qu'un point de vue est meilleur, moins bon ou même égal à un autre point de vue, nous voulons dire que ce n'est pas aux wikipédiens d'ordonner les avis. Simultanément les points de vue sont rattachés à leurs auteurs et ces auteurs ne se valent pas, certains représentent le consensus scientifique, d'autres des spécialistes isolés, d'autres des militants de sorte qu'il ressort immédiatement des autorités attachées aux points de vue une hiérarchie entre les opinions. Une neutralité de point de vue bien comprise ne doit pas tenter d'empêcher la manifestation de cette hiérarchie naturelle. Nous nous limitons bien entendu à l'autorité des spécialistes.

L'argument d'autorité n'est pas rationnel mais il est raisonnable. Etant donné que nous n'avons pas de comité de rédaction, ni qualité particulière, pour la plupart, à intervenir sur des sujets pour lesquels il existe des spécialistes, nous devons admettre la nécessité de notre ignorance et la possibilité de notre faillibilité.

Comment dès lors trancher les désaccords sur les sujets ? Par le sourçage des informations et l'attributions des points de vue c'est-à-dire par le recours à l'autorité. Nous devons préférer l'avis des spécialistes nonobstant le fait que nous les estimions faux ou incomplets.

II) Argument ad hominem

On lit beaucoup de choses contradictoires sur l'ad hominem, on oppose parfois le mauvais ad hominem au bon ad personam.

En réalité l'ad hominem est une chose très simple : il consiste à viser une personne plutôt que l'argument. Dans une discussion qui doit se déterminer rationnellement, l'ad hominem est à proscrire. Mais toute discussion n'a pas à se déterminer rationnellement.

Il peut être raisonnable d'exclure l'argument d'une personne à raison même de la personne. Ainsi une personne ne peut être juge et partie : exclure le jugement d'une personne sur une affaire dans laquelle elle est partie prenante, c'est bien de l'ad hominem et ce n'en est pas moins légitime.

Opposer à quelqu'un ses actes, ses paroles qui contredisent son argument est encore légitime. Cela ne décide pas de la valeur de ces arguments mais disqualifie leur auteur. On peut aussi opposer la mauvaise foi, ou la récurrence des erreurs d'une personne.

Exclure l'opinion d'une personne qui n'est pas qualifiée sur le sujet dans un débat qui admet l'argument d'autorité est parfaitement légitime. C'est encore de l'ad hominem.

On n'y pense pas mais il y a encore une personne dont il faut prendre avec précaution l'argumentation à raison de sa faillibilité : soi-même. L'esprit critique commande à douter en premier lieu de soi-même. L'erreur est humaine et nous pouvons tous nous tromper. Et quand bien même nous avons raison mais que notre contradicteur ne peut de bonne foi l'admettre, que pouvons-nous lui opposer pour qu'il nous croit ?


Ainsi sur wikipédia, nous, rédacteurs amateurs dans le bon sens du terme, connaissons notre faillibilité et relativisons en conséquence notre faculté à trouver la vérité nous-même (ad hominem), nous devons dès lors, avec humilité, nous borner à reporter les avis des personnes qualifiées en indiquant leur qualification (argument d'autorité), c'est là le fondement du processus éditorial de wikipédia.

Un peu plus sur les arguments non rationnels : un article de la Britannica.

jeudi 26 mars 2009

Les aventures du pape

J'aurais bien fait un billet sur la qualité des nombreuses attaques portées contre l'Eglise ces derniers temps mais je vois qu'Eolas a déjà très bien traité le sujet : La (Bonne) Parole est à la défense, rebutant les critiques sur les trois affaires du moment : l'évêque négationniste, l'excommunication d'une mineure avortée et les propos du pape sur le préservatif.

Outre les traitements contestables de ces affaires dans la presse, il faut relever le caractère habituel des imprécisions qui caractérisent dans les journaux le traitement de toute affaire impliquant de près ou de loin l'Eglise.

J'ai ainsi lu récemment Robert Solé, ancien médiateur du Monde, reprendre cette vieille scie selon laquelle l'Eglise aurait condamné Galilée pour l'empêcher d'affirmer la rotondité de la Terre... J'avais déjà évoqué le problème dans un ancien billet quand des médias avaient annoncé que les Beatles avaient été retiré de l'Index auquel ils n'avaient bien sur jamais appartenu...

Dernière affaire en date, des propos du Pape en voyage vers l'Afrique rappelant une vérité à la limite de la banalité : les distributions de préservatifs ne peuvent suffire à éradiquer le sida, il faut adopter des comportements responsables. Parce que le préservatif donne un sentiment de sécurité, il prête en effet aux comportements à risques et donc ne peut stopper la pandémie. Dès lors le mal doit être combattu directement et pas seulement ses symptômes. Le pape n'avait cependant pas pris en compte le paternalisme des occidentaux à l'égard des Africains, d'où le scandale médiatique.

Un scandale caricaturé avec bonheur par ce billet-ci, dont je conseille la lecture : [Juste pour rire] “Il fait beau !” a déclaré Benoît XVI du blog catholique e-deo.

L'athée que je suis ne peut que constater toute la malveillance qui entoure toute interprétation des actions de l'Eglise. La critique de cette institution ne se fonde ultimement pas sur la raison mais sur la facilité à se laisser porter par les préjugés du moment.

Et pourtant la critique raisonnable était possible. Mon avis est que le défaut de la position du pape et de l'Eglise est de nier la fatalité de la progression des comportements de libre sexualité, qui est un phénomène moderne irrésistible lié à la disparition des contraintes et l'accroissement de la prospérité.

ps : un autre article qui mérite le détour : les quatre registres de la morale, par Roland Hureaux.

vendredi 27 février 2009

Dans la nature, le beau coïncide avec le bon et l'utile

Pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Darwin, voici un post consacré à une théorie classique appliquée à la lumière du darwinisme : la coïncidence dans la nature du beau du bien et de l'utile.

D'abord, entendons-nous sur le sens du mot beau.

D'après le TLFI, le beau est ce "qui cause une vive impression capable de susciter l'admiration en raison de ses qualités supérieures dépassant la norme ou la moyenne". Et ce dictionnaire d'ajouter qu'une de forme du beau est que "l'impression s'exerce sur les sens de la vue ou de l'ouïe".

Je me permet ici d'employer le mot beau de façon plus générique en l'étendant à l'impression exercée sur un sens quel qu'il soit car, que la chose soit belle à l'oeil, sente bon au nez, soit bonne au goût ou douce au toucher, l'idée est au fond la même : la perception agréable d'un sens.

Pourquoi dans la nature, ce qui est bon et utile nous apparait beau, et inversement ce qui nous est néfaste nous apparait laid ?

J'établirai la régularité (I) puis je l'expliquerai par les mécanismes darwiniens (II). Enfin nous verrons pourquoi ceux qui se réclament de Darwin ont du mal à accepter ma proposition (III).

I ) La régularité naturelle entre beau, bien et utilité.

Je précise d'emblée et explicitement que je parle des produits naturels donc inutile de m'opposer whisky et camembert, produits artificiels, qui peuvent être beau (bon pour le goût) et néfaste à la fois ; ou encore les médicaments.

Ce qui est agréable à notre goût est bon et utile : est bon le goût des aliments, ne l'est pas celui des excréments. Nous préférons le cuit or le cuit, s'il détruit des vitamines, détruit également les parasites. Poison, moisi ont mauvais goût.

Ce qui est agréable à notre odorat est bon et utile : les aliments de nouveau. La fumée à l'inverse qui signale un feu et donc un grave danger, ou le risque d'intoxication est désagréable.

Ce qui est agréable à notre toucher est bon et utile. Nous aimons ce qui est doux. Brulant, gelé, râpeux, tranchant, qualités néfastes, ne sont pas agréables. Peut-être est-ce sens ou la coïncidence entre l'utilité et la sensation est la plus évidente : la blessure nous fait souffrir ; nous percevons immédiatement que la blessure est néfaste et qu'elle déplait à notre sensation.

Ce qui est agréable à notre vue est bon et utile. On dit que le ciel est beau ou moche suivant que le ciel est éclairé ou menaçant. Les caractères physiques qui nous apparaissent les plus beaux sont aussi les plus utiles : la qualité de l'œil comme celle des organes liés à la reproduction, forme des hanches, ventre et seins d'une femme. En revanche la maladie et la vieillesse sont laides.

Ce qui est agréable à notre ouïe est bon et utile. Un bruit inhabituel, surprenant, nous est désagréable, il signale un danger.

Ainsi dans la nature le beau coïncide avec le bon et l'utile et la liste donnée n'est sans doute pas exhaustive.

II ) Des mécanismes darwiniens.

Commençons par raisonner sur un cas extrême : supposons une personne attirée par une chose particulièrement néfaste, en effet il aime le goût de la viande décomposée. Il tombe malade et meurt, ses gênes ne se transmettent pas, ils disparaissent.

Prenons le cas d'un appétit pour les fruits pourris, l'homme porteur de cette caractéristique est fréquemment malade. Il est désavantagé absolument et relativement par rapport à ses pairs, ses gênes se transmettent difficilement et se marginalisent.

Plus compliqué, prenons le cas de l'homme qui préfère les fruits qui ne sont pas murs. En consommant ces fruits il nuit à son milieu naturel davantage que l'homme qui mange le fruit une fois mûr, pour la bonne raison qu'il nuit davantage à la reproduction des arbres générant ces fruits. De surcroit sa consommation requiert l'utilisation de davantage de ressources. Cet homme est avantagé contre son semblable car il va se nourrir avant lui relativement à un même fruit. Mais à l'échelle du groupe, le groupe qui présente cette caractéristique et qui donc consomme davantage de ressources et nuit à la bonne reproduction de ces ressources, va être désavantagé par rapport aux autres groupes car le monde dans lequel nous vivons est un monde de pénurie dans lequel les caractères les plus efficaces se répandent au détriment des autres.

In fine, c'est donc l'information du groupe qui préfère les fruits de la façon la plus utile cad murs qui va le mieux se diffuser par rapport aux autres et c'est pourquoi ce caractère se répand sur toute la terre.

Et c'est pourquoi aujourd'hui nous préférons les fruits murs.

Ainsi ce qui nous est utile, nous le trouvons beau (encore une fois, mon propos se limite aux choses naturelles). Une sélection naturelle est à l'origine de nos préférences naturelles. Rien n'est gratuit et tous nos caractères naturels ont ainsi une explication.

Ce lien entre beauté et utilité nous en apprend sur ce qu'est réellement la beauté. Elle n'est pas quelque chose existant de façon immanente. Elle est fondamentalement liée à la notion d'utilité. De même que la viande et la musculature d'un bœuf sont les deux faces d'une même réalité, la beauté et l'utilité correspondent dans la nature à une même chose.

L'homme peut rationnellement déterminer, calculer ou simplement avoir conscience d'où se trouve son utilité, tel n'est pas le cas de l'animal. L'animal a un comportement d'emblée efficace, qui s'appelle l'instinct. Et ce qui va guider l'instinct vers l'objet, c'est la sensation agréable que celui-ci procure, c'est ce qu'il trouve bon ; ce qui va l'éloigner est la sensation désagréable. Autrement dit l'instinct ce n'est pas quelque chose qui nous dirait fait ci ou fait cela, c'est plutôt quelque chose qui dispose nos perceptions de façon à nous faire sentir que ceci est agréable, cela ne l'est pas.

Ainsi la beauté est le vêtement d'une utilité cachée de même que le préjugé est le vêtement d'une raison cachée selon le mot parait-il de Maistre.

La coïncidence beauté/utilité est souvent inexploitée des commentateurs.

Prenons cet extrait,

Why did this genetic change spread so successfully? There is no evidence that blue eyes help people survive. Perhaps the trait was associated with paler skin, which admits more of the sunlight needed for the synthesis of vitamin D. That would be especially important as people in less sunny northern climates became more dependent on grain as a food source, which is deficient in vitamin D. On the other hand, blue-eyed people may have had more descendants chiefly because they happened to be more attractive to the opposite sex in that geographic region. Either way, the explanation leads straight back to Darwin's two theories—natural and sexual selection.


L'auteur oppose deux raisons comme origine du caractère des yeux bleus, d'abord l'association avec un caractère qui facilite l'assimilation d'une vitamine dans les régions où la lumière est faible, ensuite la beauté des yeux bleus.

Cette alternative me semble fausse car comme je l'ai indiqué la beauté est la cause immédiate, que l'être perçoit tandis que l'utilité est la cause profonde et cachée. Ainsi il convient de dire que le caractère des yeux bleus s'est diffusé à la fois parce qu'il est beau et qu'il est utile. Cette utilité peut être celle citée, une utilité dans l'absolu, mais elle peut aussi être une utilité relative aux autres membres du groupe c'est-à-dire que l'ornement sert à se distinguer des partenaire reproductifs pour attirer les partenaires sexuels. Quelle que soit la solution retenue, il est erroné d'opposer utilité et beauté.

Notre même auteur cherche par ailleurs à déterminer le pourquoi des ornaments :

why a female would choose an ornamented male. It is a question that still excites biologists, because they have two equally good answers to it. One is simply fashion: When females are choosing gorgeous males, other females must follow suit or risk having sons that do not attract females. The other is more subtle. The tail of a peacock is an exhausting and dangerous thing for the bird to grow. It can only be done well by the healthiest males: parasites, starvation, and careless preening will result in duller plumage. So bright plumage constitutes what evolutionary biologists call an "honest indicator of fitness." Substandard peacocks cannot fake it. And peahens, by instinctively picking the best males, thereby unknowingly pass on the best genes to their offspring.


L'auteur nous explique dans cet extrait que les femelles paon préfèrent le mâle à la plus belle roue soit parce qu'elles doivent choisir le mâle dont la descendance sera la plus susceptible de plaire aux femelles, soit parce que cette roue révèle la robustesse (j'ajoute que la plus belle roue révèle un ensemble de caractères que les autres mâles du groupe ont admis comme supérieurs, supprimez cette roue et peut-être qu'un autre mâle sortira à son tour du lot).

Là encore ses développements me semblent critiquables puisque les deux raisons données ne s'opposent pas mais se combinent. La première amplifie juste le phénomène imprimé par la seconde.

III ) Une théorie qui rencontre des oppositions

J'ai pu remarquer que l'exposé de cette théorie provoquait spontanément des réactions hostiles et pas vraiment argumentées.

Par exemple ici :

* sur l'oracle
* sur un forum

Si vous vous rappelez d'autres endroits où j'ai pu développer cette idée, merci de les porter à ma connaissance.

En permanence me sont opposés des exemples qui oublient le prémisse selon lequel je me situe dans l'ordre des choses naturelles.

Souvent on tente d'opposer quelques obscurs contre-exemple comme si la marginalité du contre-exemple n'établissait pas la régularité du phénomène décris.

Je pense que ces oppositions sont dues à ce que cette théorie n'a pas la petite musique habituelle qu'entendent les partisans de Darwin, dont je suis.

La théorie selon laquelle le beau est bon est en effet une théorie classique qui a été oubliée. Alors que la théorie de Darwin semble souvent véhiculer hasard, relativisme et refus de l'absolu, en ce que l'état auquel nous nous adaptons (cf note 1) est contingent et indéterminé, l'idée que le beau et l'utile coïnciderait apporte une dimension objective, un fondement rationnel à la beauté.

Il me semble au fond que c'est cette idée qui dérange.


Note 1 : en réalité ce n'est pas tant l'individu qui s'adapte que la nature qui favorise le plus apte.

dimanche 22 février 2009

Le cauchemar de Darwin

Alors qu’on approche la fin des démêlés judiciaires de l’historien François Garçon poursuivi pour diffamation contre l’auteur du film documentaire, Hubert Sauper, je voudrais signaler que j’ai une dette envers le film en titre, qui a aidé à ma formation.

Tourné entre 2001 et 2004, le film décrit un commerce révoltant : la perche du Nil a été introduite dans le lac Victoria, en Afrique, elle en a détruit l’écosystème ; ce poisson est pêché puis envoyé dans les pays occidentaux pour fabriquer de la nourriture. Au retour les avions ramènent des armes, alimentant la guerre et donc la pauvreté africaine. Les Africains gardent les carcasses pourrissantes. Commerce inique, métaphore d’une mondialisation prédatrice et inhumaine, le film connut un certain succès en France, pays où il fut projeté en 2005.

Comme tout le monde, ce film m’a révolté mais pour des raisons différentes puisque j'estime que loin d’informer l'opinion publiques d'horreurs véritables, ce film n’était qu’une fiction destinée à flatter un certain type de spectateur occidental dans ses préjugés. Le cauchemar de Darwin m'a fait comprendre beaucoup de choses, il m'a permis de voir où reposaient réellement les préjugés, leur force, la facilité et la satisfaction intellectuelle. Il a commencé à me faire comprendre à quel point le combat politique consistait à identifier l'adversaire à sa caricature et donc au mal, que l'idéologie n'est que le mensonge servant à justifier nos mauvais actions.

Le cauchemar de Darwin est le cauchemar rêvé des anticapitalistes, un film qui d'une bouillie de faits vus à travers le prisme de l'idéologie tente péniblement de mettre en accusation la mondialisation libérale.

L'image du film est belle, la fable séduisante mais y a-t-il quelque chose dans ce film qui ne prête à contestation ? Regardons.

1/ Un trafic d'armes

Le film et en particulier son affiche allègue un trafic d’armes en rapport avec le commerce de la perche du Nil or celui-ci n'est jamais prouvé et rien ne permet de croire qu'un lien quelconque entre le commerce de la perche et des armes existe.

Pourtant cette allégation fonde la critique politique du film et c'est une accusation grave. Dès lors il convenait de la prouver ou de ne pas l'utiliser du tout.

2/ Des populations affamées

Le film sous-entend (au minimum) que le commerce de la perche affame les populations locales. Or ce n'est pas par la contrainte que le poisson est pris au pêcheur, ce n'est par la contrainte qu'il est pris aux usines, ce n'est pas par la contrainte qu'il est embarqué. Mais alors comment ce commerce peut-il avoir lieu ? Pourquoi les populations locales ne conservent-elles pas le poisson pour leur propre consommation ?
C'était à François Garçon de révéler que les populations ne mourraient pas de faim, que les carcasses de poissons, pourries et couvertes de mouches, n'étaient pas destinées à l'alimentation locale.

L'allégation de populations affamées du fait du commerce international de la perche révélait une incompréhension de l'économie de marché : en effet le principe d'un échange libre c'est que chacun y gagne (sans pour autant que chacun y gagne forcément de façon équitable ou « juste »). Si les populations locales vendent aux occidentaux la perche, c'est qu'ils y ont plus intérêt que la garder pour eux, en particulier pour la manger. C'est donc qu'ils ne meurent pas de faim. De plus les revenus générés par le commerce permettent de créer des emplois réels, productifs et non fondés sur autre chose que la charité occidentale (encore que). De l'autre côté les occidentaux achètent la perche pour faire de la nourriture pour animaux. Tout le monde y gagne chose qui semble inacceptable pour le réalisateur, qui décrit en conséquence les responsables africains de ce commerce comme des idiots utiles.

Pour les anticapitalistes, l'échange est le masque d'une exploitation : un camp exploite l'autre, (et le camp exploiteur est toujours le même). Quand ils qualifient le commerce mondialisé de sauvage ou brutal, ce n'est pas l'achèvement d'un raisonnement construit et corroboré par des observations, c'est le corollaire du dogme de départ.

3/ La misère

Le film montre la misère locale, notamment celle d'enfants abandonnés qui sniffent de la colle. Mais cette misère n'a aucun lien avec le commerce de la perche. Au contraire ce commerce enrichit la population locale pour les raisons sus-cités.

Sans le travail généré par l'activité de pêche, la misère serait plus importante et non l'inverse.

4/ La métaphore d'un capitalisme prédateur

La perche, introduite dans le lac, en a détruit l'écosystème. La perche est en effet un prédateur contre lequel les autres poissons ne faisaient pas le poids, ce faisant elle a détruit l'écosystème et donc les conditions de sa propre survie, se condamnant à terme.

L'histoire de cette perche se veut une métaphore du capitalisme ultralibéral, qui engendre un productivisme qui sape ses propres fondements et nous conduit dans le mur.

Commençons par rendre à César ce qui appartient à César : qui a introduit la perche du Nil dans le lac ? Il ne s'agissait pas de capitalistes ou d'industriels appâtés par l'idée de profit mais bien de l'Etat, animé par la volonté politique d'accroitre la production du lac cad une politique de développement. Ce qui a mis la perche dans le lac Victoria ce ne sont pas les mauvaises mais les bonnes intentions.

L'exploitation intensive de la perche conduit à terme à son extinction, et comme le lac a été vampirisé par la perche du Nil, le lac Victoria deviendra un désert. Hubert Sauper a raison de dénoncer ce problème. Encore aurait-il fallu désigner les bonnes causes et non par réflexe conditionné le libéralisme ou la mondialisation. L'introduction de la perche et son exploitation intensive n'ont rien à voir avec le libéralisme et tout à voir avec un interventionnisme politique. Le productivisme n'est pas libéral. Là où le libéralisme aurait un rapport avec notre sujet est qu'un libre-marché et une échelle planétaire à ce marché accroissent les possibilités d'allocation des perches pêchées de sorte qu'il est plus intéressant de la pêcher et de la vendre que si l'usage devait être local. (Et de façon plus générale, un marché mondial pousse aux échanges et donc à la production et donc à la fois à l'exploitation des ressources naturelles et à l'opulence de l'ensemble des hommes) On peut critiquer ce mécanisme qui pousse à l'exploitation de la nature, il faut réaliser en même temps qu'il n'est possible que parce que les populations locales n'ont pas absolument besoin de ce poisson et qu'il permet à tous les Africains qui participent à l'exploitation de la perche de sortir de la misère.

Problème suivant : l'assimilation du libéralisme économique au darwinisme social. C'est un lieu commun antilibéral qui repose sur des confusions, et qui ignore que les penseurs libéraux comme Mises ou Hayek ont toujours dénoncé le darwinisme social. On ne peut pas en dire autant de tout le monde, y compris des socialistes.

Je regrette d'avoir oublié d'autres défauts que j'avais alors détecté. (désolé je ne compte pas revoir le film)

5/ Leçon paradoxale du film.

La leçon de ce film, édifiante, ne se terminait pas avec la projection : une fois la lumière revenue, je devais constater la satisfaction qui parcourait les visages des spectateurs, qui avaient tout gobé et croyait présenter un esprit critique en répétant docilement la morale du film.

Mon verdict négatif fut confirmé par l'analyse de François Garçon, qui révéla de surcroit que les carcasses montrées par le cinéaste n'étaient pas destinées à l'alimentation de la population locale. Il est hallucinant que ce fait n'ait été indiqué pendant le film. F. Garçon révélait aussi que seul les quartiers et la population les plus miséreux avaient été montrés.

On peut trouver le film choquant pour les raisons que j'ai exposées voire le qualifier de « supercherie » comme le fit François Garçon, attaqué en diffamation. La justice l'a condamné à une faible somme, estimant l'accusation de l'historien selon laquelle le réalisateur faisait jouer et rejouer les enfants se droguant infondées mais admettant la véracité du reste de ses accusations. On attend en ce moment la décision de la Cour d'appel.

Ce film n'est pas isolé, plusieurs soi-disant films redresseurs de torts connaissent le succès. Prenez Slumdog millionnaire, en apparence un film indien, en réalité un film occidental pour le public occidental, dans lequel la police torture le pauvre des bidonvilles qui refuse son sort. Derrière l'apologie de l'aventure d'un pauvre, un regard contempteur de la société indienne, la dénonciation des riches, tous pourris. Prenez Eden à l'ouest, dans lequel un étranger parfait sur le plan progressiste au point qu'il n'a plus d'origine, comme l'a remarqué avec justesse Eric Zemmour, est confronté à une population corrompue, jouée par des figurants qui avaient des consignes de comportement et devaient affecter une indifférence factice.

Le film misérabiliste a ainsi son public, on peut même soutenir que c'est devenu un genre à part entière. En voici la recette : une bonne cause, lointaine, les préjugés d'un public qui se croit libéré des préjugés, la stigmatisation des autres, proches.

Rousseau disait fameusement, et que je suis d'accord ici avec lui :
Méfiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins.

jeudi 5 février 2009

Citations sur la démocratie

Voici quelques citations sur la démocratie retrouvées dans mes papiers, que je crois me rappeler avoir collectées moi-même. Bien sur elles ne se valent pas. Leur intérêt est qu'elles permettent de faire le tour des problématiques assorties à la notion de démocratie, ainsi que de saisir la variété des acceptions de ce mot, à la fois système politique et état social, entre liberté et égalité. Celles qui m'ont le plus intéressé lorsque je les ai relues sont celles de Flaubert et Sauvy. N'hésitez pas à commenter.

-La culture est l'âme de la démocratie. (Jospin)

-La démocratie, c'est l'égalité des droits, mais la République, c'est l'égalité des chances. (Chirac)

-Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. (Flaubert)

-La Démocratie, c'est la grande Patrie. (Victor Hugo)

-Le noir est l'uniforme de la démocratie. (Baudelaire)

-C'est l'idée du despotisme qui nous donne l'idée de la démocratie. (André Glucksmann)

-La démocratie est un système dans lequel les citoyens votent pour désigner des gouvernants sur la base d'un programme leur indiquant les intentions des gouvernants. (J.-F. Revel)

-Comme le despotisme est l'abus de la royauté, l'anarchie est l'abus de la démocratie. (Voltaire)

-La Démocratie ne va pas de soi. Il faut se battre pour elle chaque jour, sinon nous risquons de la perdre. La seule arme dont nous disposions est la loi. (Paul Auster)

-De même que je refuse d'être un esclave, je refuse d'être un maître. Telle est mon idée de la démocratie. (Lincoln)

-Je suis un de ces démocrates qui croient que le but de la démocratie est de faire accéder chaque homme à la noblesse. (Romain Gary)

-La vraie démocratie est le régime où chacun porte dans sa giberne le désir d'être un héros. (Jacques de Bourbon-Busset)

-Une démocratie ne vaut et ne dure que si elle sait refondre constamment dans la communauté nationale l'individualisme qu'elle fait naître. (Jacques de Lacretelle)

-La démocratie, cela ne consiste pas à s'unir, comme l'annoncent sans cesse les conservateurs attardés. C'est au contraire l'art de se diviser. (Alfred Sauvy)

-La démocratie, c'est le gouvernement du peuple exerçant la souveraineté sans entrave. (Charles de Gaulle)

-Ce sont les démocrates qui font les démocraties, c'est le citoyen qui fait la république. (Georges Bernanos)

-La monarchie dégénère ordinairement dans le despotisme d'un seul ; l'aristocratie dans le despotisme de plusieurs ; la démocratie dans le despotisme du peuple. (Montesquieu)

-A la nomination d'une petite minorité corrompue, la démocratie substitue l'élection par une masse incompétente. (Bernard Shaw)

-La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes. (Winston Churchill)

-Le moins mauvais système politique est celui qui permet aux citoyens de choisir l'oligarchie qui les gouvernera. On l'appelle généralement la démocratie. (Jacques de Bourbon-Busset)

-L'amour de la démocratie est celui de l'égalité. (Montesquieu)

-La démocratie, c'est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. (Abraham Lincoln)

-Démocratie : L'oppression du peuple par le peuple pour le peuple. (Oscar Wilde)

-La dictature, c'est 'ferme ta gueule' ; la démocratie, c'est 'cause toujours'. (Jean-Louis Barrault)

-Les démocraties ne peuvent pas plus se passer d'être hypocrites que les dictatures d'être cyniques. (Georges Bernanos)

-J'aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu'un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu'au bonheur commun; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s'ensuit que j'aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré. (Jean-Jacques Rousseau)

- Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une démocratie. [...] Le peuple, dans la démocratie, est, à certains égards, le monarque; à certains autres, il est le sujet. (Montesquieu)

samedi 10 janvier 2009

Couvrez ce sein...

Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Un message pour rappeler le sens de cette expression particulièrement galvaudée : il ne s'agit pas de moquer la pudibonderie mais l'hypocrisie.

La citation est prononcée par le Tartuffe dans la pièce de Molière qui porte son nom. La formule exacte est celle en tête d'article et non celle qu'on lit le plus souvent à savoir Cachez ce sein que je ne saurais voir. La plupart du temps, cette formule est utilisée pour critiquer une pudeur ridicule, une morale rétrograde ou ce genre de choses. C'est un mauvais emploi.

Tartuffe, le personnage de théâtre qui prononce ces mots, n'est pas un dévot : c'est un faux dévot, et c'est son hypocrisie et non sa dévotion, que Molière ridiculise.

La tartufferie décrit une attitude en apparence vertueuse mais en réalité totalement jouée par une personne qui présente les vices opposés. La tartufferie ce n'est donc pas s'offusquer d'un sein découvert, c'est faire semblant de s'en offusquer. Et parce qu'il rejette de façon fausse et excessive une chose, le Tartuffe révèle son propre vice. Nier, c'est avouer en quelque sorte.

Il est dommage que l'expression soit si souvent mal employée, il est encore dommage qu'elle n'ait pas été utilisée dans une récente affaire médiatique sur l'emploi du mot race, où elle aurait été parfaitement adaptée.