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dimanche 21 novembre 2010

Comment avoir un snobisme d'avance ?


Alors que les masses se précipitent à l'exposition Basquiat sans savoir que son intérêt provocateur s'est évaporé, d'autres préfèrent avoir un snobisme d'avance, et vont voir Gérôme, et son hyper-classicisme pompier.

Pourquoi le snobisme et comment s'en servir ?



I) Mais qu'est-ce que le snobisme tout d'abord ?

Frédéric Rouvillois a admirablement étudié le snobisme et notamment montré le renversement de logique qu'il y a entre dandysme et snobisme. Je n'ai pas lu l'ouvrage où il opère cette distinction mais je le mentionne histoire de ne pas plagier involontairement. (Histoire du snobisme, Flammarion, 2008)

Le snobisme est d'abord une attitude grégaire : elle nous fait imiter. L'objet de notre imitation est la classe à laquelle nous souhaitons appartenir, que nous estimons supérieur à la notre.

Est snob celui qui copie le groupe qu'il admire, mais il n'est que copie et demeure artificiel, exagéré. A l'inverse le dandy veut ne pas appartenir – logique contraire donc.

L'appréciation de la supériorité d'une classe est subjective. Il y a un snobisme d'appartenance à la noblesse, un snobisme d'appartenance aux riches, des intellectuels, des musiciens, des bohémiens etc

L'appréciation est tellement subjective que les classes idolâtrées peuvent se croiser. Un riche pourra copier le rappeur, le rappeur copier les riches.

Le copié n'apprécie généralement pas ceux qui le copient, et il modifie dès lors son comportement. Il faut donc être attentif.

En tout état de cause, le snobisme est un donné social, vous devez l'accepter ou terminer en misanthrope. Soyez désirable, et pour cela il vous suffit d'avoir le snobisme d'avance.

II) Boires et déboires du snobisme

Dans l'imitation de la classe admirée, coeur du snobisme, il y a une part de projection des fantasmes.

A) Des riches
Le cas des riches est remarquable. Le riche apparaît être une personne dépensière et pleine de morgue.

Etre riche n'implique pourtant a priori aucune débauche de luxe ni un caractère vindicatif. Au contraire, de nombreux riches ont une mentalité économe et s'ils vivent dans le confort, ils ne dépensent pas inutilement – c'est d'ailleurs une cause de leur richesse. On imagine trop souvent des riches flamboyants et dépensiers, à se demander comment ils ont pu le devenir et le demeurer.

Si les riches apparaissent dépensier, c'est à cause du snobisme... des parvenus, qu'on appelle d'ailleurs « nouveaux riches. ». Eux veulent montrer leur réussite, ils veulent prouver qu'ils appartiennent à cette classe désirée. Et le seul moyen dont ils disposent est de dépenser leur argent.

Ainsi les nouveaux riches dépensent-ils non pas parce que les riches sont dépensiers mais parce qu'ils veulent se montrer riche aux yeux de tous ; ils veulent opposer leur nouveau statut à tous.

Ce faisant ils suffira aux riches de ne pas faire de dépenses somptuaires pour se démarquer à leur tour de ces nouveaux riches.

C'est le jeu de la mode décrit par Ernst Gombrich dans ses écrits.

Mais l'image du riche dépensier et arrogant aura été installée définitivement, résultant d'un processus nécessaire qu'il n'est pas possible de contrarier : le snobisme des parvenus.

Cette conclusion est très certainement généralisable à d'autres classes : la haine dont elles sont l'objet ne doit pas tant à leurs éléments qu'aux snobs qui affectent d'en être. Car que copient-ils au fond : non pas la réalité de cette classe, mais la projection de cette classe telle que leur préjugé la leur fait apparaître.

Leçons : si vous avez de l'argent, dépensez-le de façon raffinée ; démarquez-vous des imitateurs



B) Des marques

Autre application du snobisme : les marques. Il existe une hiérarchie des marques de vêtements.

Le plus on détient des habits dont les marques sont en haut de l'échelle, le plus on s'éloigne des manants habillés des marques de faible prestige. Le plus on croit s'élever. Mais simultanément on dévoile son besoin de se distinguer de ces masses et d'imiter les meilleurs – à nos yeux. Dès lors on se trahit. Il n'aura échappé à personne que plusieurs marques supposées être de grands luxes sont portées par des personnes vulgaires.

Ainsi le bon snobisme consistera à ne pas porter de marques, ou du moins pas de marque visible. Cher lecteur, aies donc un snobisme d'avance en t'évitant les marques.

Mais tu ne gagneras qu'un temps car ceux dont tu veux te distinguer te copieront à leur tour.

Encore que... l'imitation n'est pas facile. Nos mauvais gouts révèlent la classe à laquelle nous appartenons et celle à laquelle nous aspirons. Ils nous trahissent. D'où l'utilité d'avoir un snobisme d'avance.

Leçon : ne pas porter de marques visibles



III) Le snobisme appliqué aux expositions

Postulons qu'à notre époque nous ne demandons pas tant à l'art des représentations de la beauté qu'un parfum de souffre.

Actuellement à Paris nous avons, outre Monet, les expositions de Basquiat et Gérôme. Le snobisme d'avance consistera à aller voir l'exposition la plus originale, que ne vont pas voir les masses.

Du 15 octobre au 30 janvier, vous pouvez voir Basquiat à Pompidou.
Du 19 octobre au 23 janvier, vous pouvez voir Gérôme au musée d'Orsay.


Gérôme est un peu le méchant de l'histoire de l'art. Au XIXe siècle, il défendait un style de peinture quasi-photographique et recourait à la représentation d'anecdotes : un art pompier (nommé ainsi pour moquer tous ces casques historiques faisant penser à ceux des pompiers), un art estimé lourd et creux, et démagogique avec ces scènes d'histoire édifiantes et toutes ces femmes nues pour des prétextes futiles.

Surtout Gérôme combattait vigoureusement les peintres aux idées et aux styles nouveaux, condamnés au fameux et glorieux salon des refusés.

En fin de compte, l'histoire donnait tort à Gérôme et le condamnait aux oubliettes. Pour ressortir le principal auteur pompier de celles-ci, le Musée d'Orsay a cru bon de se justifier, comme si sa gloire passé ne justifiait pas que le spectateur puisse se faire sa propre idée !

A l'inverse Basquiat a l'image d'un artiste provocateur et controversé. Or sans s'étendre là-dessus, il est devenu d'un conformisme affolant d'aimer et célébrer Basquiat pour une subversion dès lors bien étiolée. Il y a 20 ans oui, aujourd'hui non.

Ainsi le petit parfum de souffre se trouve-t-il en réalité – vous l'aurez compris – à l'exposition du musée d'Orsay, et il faudra fuir un Pompidou rempli d'imitateurs avec un train de retard.

En revanche, si vous avez la faiblesse de croire que l'art n'a rien à voir avec la subversion, qu'une telle croyance est de plus affligeante de banalité, que l'art ne peut se définir sans faire de référence à la beauté, passez votre chemin de ces deux expositions, ou visitez-les pour informations – et gagnez la course du snobisme.

Leçon : allez voir Gérôme