Etes-vous quelqu'un de différent ?

dimanche 29 juin 2008

Quiconque, ignorant que le corps social est un ensemble de lois naturelles, comme le corps humain, rêve de créer une société artificielle...

Pour compléter la critique d'hier sur le livre de Michéa, voici un extrait remarquable de Frédéric Bastiat, qui met les choses au point quant à la paternité de l'idée selon laquelle la société n'est pas naturelle. Merci à Free Jazz qui a porté ce discours à ma connaissance, discours que le député des Landes aurait du prononcer devant le Parlement s'il n'en avait été empêché par la tuberculose qui devait l'emporter.

Les doctrines subversives auxquelles on a donné le nom de socialisme ou communisme sont le fruit de l'enseignement classique, qu'il soit distribué par le clergé ou par l'Université. [...] Relativement à la société, le monde ancien a légué au nouveau deux fausses notions qui l'ébranlent et l'ébranleront longtemps encore.

L'une : que la société est un état hors de nature, né d'un contrat. Cette idée n'était pas aussi erronée autrefois qu'elle l'est de nos jours. Rome, Sparte, c'était bien des associations d'hommes ayant un but commun et déterminé : le pillage ; ce n'était pas précisément des sociétés mais des armées.

L'autre, corollaire de la précédente : Que la loi créé les droits, et que, par suite, le législateur et l'humanité sont entre eux dans les mêmes rapports que le potier et l'argile. Minos, Lycurgue, Solon, Numa avaient fabriqué les sociétés crétoise, macédoniennes, athénienne, romaine. Platon était fabriquant de républiques imaginaires devant servir de modèles aux futurs instituteurs des peuples et pères des nations.

Or, remarquez-le bien, ces deux idées forment le caractère spécial, le cachet distinctif du socialisme, en prenant ce mot dans le sens défavorable et comme la commune étiquette de toutes les utopies sociales.

Quiconque, ignorant que le corps social est un ensemble de lois naturelles, comme le corps humain, rêve de créer une société artificielle, et se prend à manipuler à son gré la famille, la propriété, le droit, l'humanité, est socialiste. Il ne fait pas de la physiologie, il fait de la statuaire ; il n'observe pas, il invente ; il ne croit pas en Dieu, il croit en lui-même ; il n'est pas savant, il est tyran ; il ne sert pas les hommes, il en dispose ; il n'étudie pas leur nature, il la change, suivant le conseil de Rousseau.

Bastiat, ''Baccalauréat et Socialisme'', source : bastiat.org

samedi 28 juin 2008

Critique de l'Empire du moindre mal

Vous trouverez ci-dessous une critique du livre de Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal. Cette critique a été rédigée à l'occasion du concours libéraux.org 2008 décerné voici quelques mois à l'ouvrage de Jacques de Saint Victor, Les Racines de la liberté.

De la sélection pour recevoir le prix Wikibéral 2008,
L’Empire du moindre mal est le seul livre à avoir été écrit par un antilibéral. L’ouvrage de Jean-Claude Michéa, agrégé de philosophie français, qui a reçu des critiques favorables et est chaudement recommandé par ses lecteurs, apparaît le plus intéressant, le plus désintéressé de l'abondante production antilibérale, le plus capable d’apporter une contradiction pertinente là où la plupart des livres antilibéraux confirment par leur médiocrité et leur ignorance les convictions des libéraux.

L’empire du moindre mal c’est pour Michéa l’idéal de la tradition libérale qui trouve son point de départ avec Hobbes : à l’état de nature, l’homme est en état de guerre contre ses semblables. De ce postulat anthropologique pessimiste, Michéa fait naitre le projet moderne qui va s’attacher à construire la société permettant à ces hommes de vivre ensemble : la société la moins mauvaise. Cette société est ordonnée par des processus mécaniques tels que le Marché et le Droit. L’Etat libéral va s’attacher à maintenir par la force la neutralité axiologique, les valeurs transcendantes seront détruites. La société moderne ayant détruit les conditions anthropologiques sur lesquelles elle reposait, elle devient ultimement un enfer glacé.

Michéa nomme libéralisme le projet positif de la modernité.

Après avoir exposé la conception de Michéa du libéralisme (I), on exposera les limites de sa critique de la modernité (II). Il conviendra encore de se questionner sur la véritable cible de Michéa, ce qui expliquera par exemple pourquoi il a choisi une définition du libéralisme aussi originale (III). Et enfin nous développerons grâce aux penseurs libéraux, l'esquisse empirique que dresse Michéa des fondements de la société (IV).

I) Une conception originale du libéralisme.

Michéa a un mérite considérable, il ne tombe pas dans les errements de base des critiques professionnels du libéralisme. Dès le début, il met en lumière la dimension moderne du libéralisme quand beaucoup de commentateurs croient avoir à faire avec un conservatisme ou une idéologie réactionnaire. Michéa souligne par ailleurs le caractère libertaire de nombreux économistes libéraux à commencer par Milton Friedman ce qui est particulièrement rare et bienvenu. Enfin Michéa insiste sur l'unicité des libéralismes économique et politique.

Le libéralisme serait l’idéologie moderne par excellence, hypothèse aussi potentiellement riche qu’elle est généralement délaissée. Mais Michéa va aller jusqu’à assigner le nom de libéralisme à l’ensemble du projet moderne ce qui le conduit à réunir sous ce terme des personnes aussi variées que Laurence Parisot, George W. Bush ou Act Up, c’est-à-dire des personnes qui ne se revendiquent pas particulièrement du libéralisme voire se considèrent antilibérales. Dès lors pourquoi ne pas employer un autre terme que « libéralisme » ? Nous verrons plus loin que c'est pour atteindre un certain public.

Le libéralisme de Michéa rassemble donc les divers traits de la modernité : l'individualisme, le relativisme, l'utilitarisme, le progressisme, le rationalisme cartésien, pour en dresser une critique radicale.

Si la logique de Michéa peut s’avérer intéressante, le point de départ pose problème : pourquoi Hobbes et sa conception pessimiste de la nature humaine ?

A) Une conception pessimiste de l'homme ?

Hobbes a une influence sur la philosophie libérale en ce que, observateur des guerres de religion, il est un des fondateurs du paradigme moderne hostile aux valeurs morales transcendantes auxquelles il attribue une responsabilité dans les conflits fratricides d'alors : si les hommes s'entre-tuent, n'est-ce pas parce qu'ils défendent des valeurs morales différentes ? On retrouvera en effet cette méfiance envers les valeurs morales ancrée dans la tradition libérale. Michéa aura donc beau jeu d'insister sur l'importance de Hobbes.

Cependant le philosophe auquel les libéraux se réfèrent n’est pas Hobbes mais Locke, or entre Hobbes et Locke il y a un renversement de la conception de l’état de nature : pour Locke, l’homme n’est pas à l’état de nature un individu isolé en guerre permanente, dont la vie serait « solitary, poor, nasty, brutish, and short », au contraire il vit en société : l’homme est un animal social. La question du présupposé pessimiste pose donc problème.

Michéa voit le système de contre-pouvoirs confirmer ce présupposé pessimiste libéral envers un homme dont on se défie des capacités morales or ces contre-pouvoirs sont institués contre l’Etat, titulaire du pouvoir le plus puissant, et pas contre les hommes. Le laissez-faire confirmerait encore pour l’auteur ce présupposé pessimiste pourtant ne laisse-t-on pas faire quelqu'un quand on lui fait confiance ?

Certes la confiance en l’homme prédispose au progressisme. Mais le pendant est que la défiance envers l’homme prédispose au conservatisme. Et pas au libéralisme comme l'indique Michéa ! Le postulat pessimiste prêté aux libéraux est éminemment contestable.

Ce n’est pas envers l’homme que le libéralisme est pessimiste mais envers le pouvoir, tout homme qui détient le pouvoir est porté à en abuser. Comme disait Lord Acton, « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Mais par conséquent, et c’est presque trivial de le rappeler, si les libéraux estiment que le pouvoir corrompt cela implique que l’homme n’est pas mauvais avant d’être corrompu. La cible de la critique libérale n’est pas l’homme mais l’Etat.

B) Des libertés rivales ?

Michéa affirme que les libertés sont rivales parce qu’elles poursuivent l’intérêt particulier ce qui montre un défaut de sensibilité fatal aux idées libérales : la poursuite de ses propres fins, qui peuvent être altruistes (et non pas la seule poursuite de son intérêt égoïste, pure fiction), permet la réalisation des fins d’autrui. Derrière ces mots, la vérité est simple : mon boulanger veut mon argent, je veux mes croissants, nous poursuivons chacun une fin différente mais nos libertés, loin de s'affronter ou se nuire, se conjuguent.

La notion d'intérêt est source de beaucoup de confusions comme l'a bien montré Philippe Simonnot : l'intérêt au sens économique est une notion plus large que l'intérêt au sens courant, il peut ainsi intégrer des motivations altruistes. Cette équivoque aboutit incidemment à l'incompréhension de Michéa quant au calcul du PIB (p104). L'intérêt c'est pourtant comme le définit le Trésor de la langue française : "ce qui importe à quelqu'un", sans qu'il soit nécessaire que ce qui importe soit égoïste. Hayek parle pour sa part de fins plutôt que d'intérêt ce qui évite bien des confusions.

C) Des analyses hostiles

Enfin notons que Michéa, pour parvenir à ses conclusions, interprète comme tous les antilibéraux, les écrits libéraux avec malveillance, cherchant la vérité non pas dans les actes ou dans les écrits mais dans les détails et les non-dits. Ainsi quand Michéa constate que la société marchande n'a que faire du racisme, c'est pour ajouter que cette tolérance n'a pas besoin de s'appliquer aux pauvres. Quand Michéa cite Milton Friedman célébrant la collaboration permise par le marché de personnes qui ne se connaissent même pas, c'est pour en déduire que dans l'idéal libéral les gens ne se connaitraient même pas...

Pour Michéa, la société minimale serait l'idéal du libéralisme. Une fois de plus, la notion d'Etat manque à la réflexion de Michéa : les libéraux veulent un Etat minimal et en même temps la Grande Société décrite par Karl Popper, permise par les mécanismes du marché (condition nécessaire mais pas suffisante) qui accordent les actions d'individus qui ne se connaissent pas et n'ont pas besoin de s'aimer. Loin de détruire la socialité, le marché met en relation les intérêts de tous de sorte que l'intérêt de chacun dépend de celui des autres, ce qui explique pourquoi les guerres disparaissent avec la mondialisation. Ce qui permet la grande société c'est l'absence de fins collectives transcendantes et certainement pas l'absence de valeurs transcendantes.

Michéa compare Michel Onfray à Ayn Rand ce qui aurait pu prêter à des développements intéressants mais il n'en profite pas et la seule référence aux libertariens dans le livre ne porte pas à croire qu'il aurait pu satisfaire notre appétit puisque cette seule occurrence est l'occasion d'une erreur (certes répétée d'un auteur tiers) : l'Etat doit défendre l'individu contre la famille (p150).

II) La modernité : un projet positif ?

Admettons donc l'emploi de "libéralisme" pour désigner le projet positif de la modernité et enfin profiter du livre. Mais d'où vient donc ce projet positif ?

A) Qui mettrait en oeuvre ce projet positif ?

Un trait frappant du livre de Michéa est son appétit pour les abstractions, jamais définies, dotées d'une volonté et donc anthropomorphiques, comme le Marché, le Droit, le Capital, les lois du Marché. C’est surtout pour ces dernières qu’une définition aurait bien été utile.

Omniprésentes dans le discours anticapitaliste d’autant plus qu’elles ne sont jamais définies, ces soi-disant lois du marché permettent un jeu de mot entre les deux sens de loi comme description de l’ordre du monde et comme commandement. Quand les économistes parlent de lois de l’offre et de la demande, ils décrivent ce qu’ils perçoivent être, mais c’est manifestement dans le sens de commandement que tous les antilibéraux évoquent ces lois du marché. Sans qu’on sache bien qui donne les ordres… Est-ce le Marché ? ou le Capital ? Michéa accorde à ces entités des majuscules comme pour les personnifier, il leur accorde une volonté délibérée. Pourtant Michéa cite la fameuse citation de Ferguson selon laquelle la société est « le résultat de l’action humaine et non pas celui de l’intention humaine ». En suivant Ferguson, on devrait dire que la société moderne n’est le projet d’aucun dessein délibéré. Ce n’est pas l’avis de Michéa qui voit dans la modernité un projet positif, voulu, dont il attribue la réalisation à des entités abstraites jamais définies… ou créées pour l’occasion comme ces soi-disant « ateliers sémantiques modernes » qui commanderaient les mots que nous employons pour satisfaire aux politiques libérales…

Michéa est généreux : nombreux sont ceux à qui il prête des intentions occultes : outre les abstractions anthropomorphiques, Michéa prend à témoin son lecteur contre les élites liguées contre le bon peuple : ainsi des politiques, tous libéraux comme chacun sait, qui de Strauss-Kahn à Sarkozy nous cachent la vérité et servent l’ordre du jour secret du libéralisme, ainsi des « grands prédateurs du monde des affaires », ainsi des « télé-évangélistes du capital dans leur propagande quotidienne ». On sombre là dans l'antilibéralisme le plus primaire.

B) Quelle politique ?

Michéa s'emploie à chercher dans la littérature libérale les règles positives dont elle réclamerait la mise en oeuvre. Or il n'y en a pas. Qu'importe, Michéa nous explique que les règles négatives sont des règles positives imposées par la force contre la nature humaine.

Michéa définit le laissez-faire comme une politique positive, c’est négliger le sens des mots. De même les politiques libérales deviennent toutes des contraintes positives pour changer l’homme, c’est méconnaitre que les réformes libérales visent essentiellement à supprimer la coercition étatique : supprimer les douanes, arrêter un impôt, permettre aux gens de choisir comment ils dépensent le fruits de leur travail etc.

Pour Michéa les politiques de concurrence sont libérales : l’Etat doit ainsi permettre l’application permanente des règles positive, il doit encore prévenir les agents de se laisser infléchir par des conditions morales ou idéologiques. Michéa constate à raison que ces règles contredisent l’ordre naturel des choses, il ne voit pas en revanche que les libéraux stricto sensu dénoncent précisément les politiques de « concurrence libre et non faussée ». Milton Friedman demandait leur abolition ! Quant à Hayek, dont le nom n’apparaît pas une seule fois dans le livre (!), une part essentielle de son œuvre met en valeur l’importance des règles culturelles. S'il y a donc bien un projet positif en l'espèce, il est faux de le qualifier de libéral.

Michéa cite aussi la délinquance, au sujet de laquelle il y a un « intérêt économique majeur […] d’un point de vue libéral […] à maintenir un taux de délinquance élevée ». Ainsi donc la délinquance serait décidée par des volontés occultes pour servir des politiques libérales... Et de même la consommation est imposée par la « propagande publicitaire. »

III) La cible de Michéa.

La définition du libéralisme de l'auteur lui permet de renvoyer dos-à-dos droite et gauche, chacune titulaires d'un versant du libéralisme : la droite avance le libéralisme économique au prix de l'abandon de ses exigences morales -la droite qui soutient le marché mais déteste la culture qu'il engendre-, la gauche avance le libéralisme politique aux dépens de ses convictions économiques -la gauche qui combat le marché mais adore sa culture-. L'alternative politique est donc un leurre puisque quoi qu'il arrive le libéralisme progresse toujours plus.

Michéa invite en conséquence la gauche à se réveiller, à abandonner la promotion du libéralisme et à reprendre conscience de l'importance de la morale, promue sous le nom que lui donnait Orwell : la common decency. Michéa s'adressant d'abord à la gauche, l'ennemi est donc celui qui à gauche se fait le promoteur du libéralisme politique et le procureur de la morale : le libertaire.

Michéa ne déteste rien tant que les libertaires, qu’il attaque en permanence. Ces libéraux de gauche (admettons) vivent en France sous l’ombre de la gauche socialiste qui lui impose son primat moral alors qu’aux Etats-Unis c’est elle qui tient le haut du pavé et donc elle ignore même qu’elle est libérale et pourtant elle existe bien : de Libération à Jack Lang.

Mais pour rendre la gauche sensible à son discours, Michéa ne pouvait attaquer de front ses idées reçues, il fallait se glisser dans les habits de la critique convenue : Michéa a donc appelé libéralisme les tares de la modernité, et il a assimilé le discours anticapitaliste avec son propre discours, qui est en réalité conservateur. Il a décidé d'unir les libéralismes économique et politique pour attraire le second dans l'opprobre accordée au premier. Difficile de savoir s'il s'agit là d'un artifice rhétorique habile ou d'une réflexion sincère.

Michéa développe un conservatisme hors tradition ce qui permet de faire passer un message qui sous sa forme pure aurait été immédiatement rejeté par la gauche. Mais ce faisant il s'expose à l'empirisme, à dire ce que d'autres auteurs d'autres traditions auraient pu déjà dire, à l'incohérence. Les passages de psychanalyse vers la fin en disent long, de même que les compliments adressés aux anciens socialistes et aux anarchistes : il n'est pas facile de quitter sa famille. En ce qui concerne la psychanalyse, il ne semble pas effleurer notre auteur que celle-ci, qui déconstruit l'homme et la société et qui nie et détruit en conséquence les conditions anthropologiques de la société, est un pur produit de la modernité. De façon plus générale, le refus de l'auteur de s'inscrire dans la tradition conservatrice, sa tendance anti-système qui lui fait citer à l'appui de ses démonstrations nombre d'originaux inconnus, ses anthropomorphismes, sa méthode qui attaque de biais les libéraux, l'inscrivent à son corps défendant dans la tradition moderne contre laquelle il lutte.

IV)Les fondements de la société.

Marché, droit, contrat nécessitent ce que Michéa appelle des prédispositions anthropologiques données. C’est exact mais tout ceci a été étudié en détail par… Friedrich Hayek (Droit, Législation, Liberté), qui montre l’importance des institutions sociales, des règles de conduites culturelles. Or ces règles sont peut-être mises à mal par le marché, ou plus exactement par la liberté des individus auxquelles le marché permet d’exprimer les préférences, il n’en reste pas moins que le grand destructeur des institutions sociales est l’Etat, qu'on prenne pour exemple le mariage, l'armée, la monnaie, l'héritage etc

Il est remarquable que Hayek ne soit pas cité une fois dans le livre alors qu'il est peut-être le plus important philosophe libéral du XXe siècle. Il est vrai qu'il serait devenu intenable de conserver la conception donnée du libéralisme en l'intégrant.

Conclusion.

Le livre de Michéa, s'il est stimulant et agréable à lire, s'avère décevant car la modernité méritait une bonne critique, surtout auprès de la gauche, à qui s'adresse Michéa. Notre philosophe est bon quand il critique les effets de la modernité, moins bon quand il l'assimile artificiellement au libéralisme et imagine un projet positif derrière celle-ci.

La critique de Michéa n'en demeure pas moins juste quand elle décèle dans le mouvement moderne l'émergence d'une sorte de totalitarisme, ses écrits font alors écho à ceux du philosophe Michel Villey qui voyait dans la philosophie des droits de l'homme s'accomplir peu à peu en redéfinissant un homme fictif auquel est conféré toujours plus de droits, d'abord les droits libéraux avant d'être ensevelit sous les droits de l'homme socialiste impliquant un contrôle toujours plus totalitaire de la société. Le livre de Michéa dans ce qu'il a de meilleur évoque ainsi le conservateur assumé Michel Villey, c'est là sans doute ce qui manque à Michéa ; assumer son conservatisme et se défaire des préjugés de la gauche.

mardi 24 juin 2008

Les clichés d'Indiana Jones

L’excellente série des Indiana Jones est une mine de clichés exploités avec bonheur. Plutôt que de tenter en vain de les éviter tout en faisant ce qu’il faut pour plaire au public, qui, il faut l’avouer aime les clichés, la série se vautre joyeusement dedans et en rajoute !

Dans le premier, Raiders of the Lost Ark, qui développe une vile vision coloniale, on trouve un Français, forcément séducteur et raffiné et les méchants sont des nazis (comme ça on peut les zigouiller de façon sadique en gardant bonne conscience, chic).

Dans le deuxième, Temple of Doom, qui est un nanard, la femme est vénale, bruyante, elle aime les hommes forts et est facile. Elle apprécie quand après avoir fait une scène à Indy, celui-ci l’attrape avec son fouet… De quoi faire hurler les féministes qui n’ont pas d’humour ! A part ça : des Indiens forcément mystique et misérables, qui sont sauvages, qui pullulent, qui réduisent les enfants au travail forcé ; les guides indiens lâches et superstitieux…

Dans le troisième, The last Crusade, la femme est facile quand l’homme est macho, et elle trahit ! Les méchants sont encore des Nazis. On retrouve comme dans le premier le méchant Champagne selon l’expression de Spielberg lui-même, un millionnaire américain pro-nazi, et le méchant brutal, un militaire allemand.

Ajouter à tout ça que le méchant est souvent perdu parce que Greedy, appaté par les richesses au moment crucial et... puni.

Le quatrième, Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull, est beaucoup plus récent, il devient intéressant de comparer si les clichés évoluent et la réponse est oui ! Le méchant, passé la scène d’introduction, est le FBI en pleine red scare, message à peine lourd pour critiquer l’administration américaine. Les clichés des précédents épisodes seraient mal acceptés aujourd’hui, donc plus de femme facile et d’autochtones arriérés. Les surprises n'en sont jamais : hop l'ami D'indiana le trahit, hop le jeune rebelle est le fils d'Indiana... Mais des russes vraiment méchants. Ouf.

lundi 16 juin 2008

Quelques commentaires sur la presse française et l'opinion publique

On attend de la presse qu'elle informe et non qu'elle flatte. Ne serait-ce qu'un vœu pieux ?

Le traitement de l'affaire du mariage annulé de mai 2008 montre tristement que la presse a contribué à nourrir les fantasmes sur cette affaire où les deux époux s'étaient accordés pour annuler le mariage après que le mari s'est rendu compte que la virginité de son épouse qui avait été essentielle à son consentement n'était pas. Déchainement de sottises : islamisation de la France, violence contre les femmes, fin de la liberté sexuelle, juge soumis aux pressions communautaires etc.

Autre affaire. Passant il y a quelques jours par hasard à Edimbourg devant un buraliste vendant Le Monde, je découvre une une consternante assortie d'une illustration de Plantu non moins consternante accusant les riches d'accaparer les richesses, de profiter des réformes sur le dos de la société. La cible, outre les riches ? Les réformettes de Sarkozy, ses baisses d'impôt.

Etant donné que l'impôt sur le revenu est progressif c'est-à-dire que le taux d'imposition augmente avec les revenus, les Français paient une part d'autant plus élevée de leurs revenus que ceux-ci sont élevés. Il est donc impossible de baisser les impôts sans que mécaniquement les plus haut revenus en profitent le plus, ce qui offre des arguments de campagne démagogues et pas chers à certains partis politiques prêts à exploiter l'ignorance et les préjugés de leur clientèle électorale.

Or, qui véhicule les idées reçues ? Le Monde ! Le journal français le plus prestigieux ! J'avais la faiblesse de croire qu'un média qui se dit de qualité aie le courage d'aller à l'encontre de l'opinion publique. Ici, pire que s'abstenir, il alimente les passions.

Libération avait fin juin 2007 fait une couverture du même genre représentant un riche en chapeau haut-de-forme - se gorgeant des richesses produites par la société : "Au bonheur des riches". La sottise en première page.

Ajouter à cela que je suis un grand amateur de courriers des lecteurs, que je consulte souvent les réactions en ligne. Malheureusement pour moi les intervenants du monde.fr semblent être des bots qui réagissent à quelques mots-clés pour critiquer leurs obsessions : Etats-Unis, libéralisme, capitalisme. Pour une étude des meilleurs spécimen, il faut suivre la chronique d'Eric Le Boucher et cliquer avec courage sur les réactions.


J'hésite à résilier.

mardi 10 juin 2008

Quel avenir pour le libéralisme ?

Voici le troisième et dernier texte publié dans les mélanges (ceci est la vo, la version aboutie est dans la version publiée).


Il semble qu'une fois de plus avec Sarkozy la France a raté le coche. Le nouveau président est vite devenu conformiste et s'épuise dans une agitation interventionniste. Il n'a pas su réformer quand il a commencé son mandat, aujourd'hui tout apparait compromis : la possibilité des réformes comme la volonté politique. Quand viendra l'alternance, rien ne porte à croire que le PS sera davantage libéral, encore qu'il ne faut pas oublier que de nombreuses libéralisations sont venues de la gauche.

Pourquoi cette impuissance française du libéralisme ? La France a une longue et vieille tradition libérale : Fénelon, Montesquieu, Condillac, Turgot, Constant, Say, Tocqueville, Bastiat... et pourtant quand on mesure son influence aujourd'hui il faut constater que les libéraux sont très minoritaires. La France semblait à l'origine moins disposée au socialisme que ses voisines, Bainville remarquait même que cela était du à l'importance du nombre de petits propriétaires. Beaucoup d'auteurs libéraux ont acquis une aura mondiale mais il semble au final que nul n'est prophète en son pays puisque Bastiat dont Ronald Reagan conservait un ouvrage à son chevet est inconnu des Français...

Comment conquérir l'opinion française et mettre une politique libérale en oeuvre ? Certains proposent la voie associative, d'autres la voie politique, par l'intégration dans les partis de gouvernement ou par la constitution d'un parti politique libéral.

C'est cette dernière option qui agite beaucoup les libéraux depuis la création d'Alternative Libérale en 2006, en froid avec nombre d'associations et sujette à des querelles intestines.

Sans entrer dans le détail de ces débats qui, au final, n’ont que peu d’intérêt, on peut tourtefois souligner le fait que ces tensions - sinon dissensions - ont été à l’origine d’un nouveau parti libéral : le parti libéral démocrate. L'humeur générale des libéraux étant anti-politique (si ce n'est plus), on peut de toute façon se demander s'ils sont capables de suivre des consignes de vote et donc soutenir un parti politique, qu'il soit libéral, se présente libéral ou s'allie avec les libéraux.

Certains proposent de copier les méthodes de l'extrême-gauche, comme si au fond la fin justifiait les moyens.

D'autres enfin ne proposent rien, la contestation permanente étant devenue comme pour les gauchistes la fin en soi : mieux vaut prendre la pose pour toujours plutôt que transiger.

La voie associative a eu quelques beaux fruits mais beaucoup d'expériences s'effacent avec le temps.

Ce qui frappe dans ces options, c'est leur nombre, et par conséquent la division des stratégies. Les libéraux sont aussi très divisés de nature : libertariens pragmatiques ou intransigeants, anarcaps, libéraux conservateurs, non alignés, écolo, de gauche etc etc. Serge Schweitzer a bien constaté ce point et nous reprendrons son conseil : mieux vaut ne pas s'intéresser à ce qui nous divise mais à ce qui nous rassemble. Qu'avons-nous en commun ? Notre auteur aixois nous l'explique : une attitude, une façon de signer notre vie, l'adhésion à la trinité liberté-responsabilité-propriété, une confiance, une humilité, une esthétique (cf http://video.google.fr/videoplay?docid=-3163614262587575874, conférence du 02 septembre 2006).

Sur liberaux.org, le ciment est la cause commune contre le socialisme, rien sans ce ciment ne réunirait des esprits aux convictions très différentes, ce qui est en quelque sorte une chance : avoir tant d'opinions et de personnes de qualités dans un milieu restreint permet une réflexion intellectuelle féconde.

Mais ce n'est pas les idées qui prendront le pouvoir. L'avenir apparait sombre dans une France dont les institutions diffusent les idées socialistes et interventionnistes, où les Français s'expriment majoritairement contre le capitalisme, où la majorité des jeunes veulent devenir fonctionnaire.

Heureusement le monde ne se limite pas à la France : ailleurs le libéralisme avance à grand pas, les populations qui ont connu le communisme réel se font le nouveau relai des idées libérales, porteuses d'espoir et de développement. Quoi qu'en disent les Cassandre, la pauvreté recule, la connaissance avance, le monde s'intègre et ainsi les hommes sont plus libres de parvenir aux fins qu'ils se fixent aujourd'hui qu'hier.

Les pays pauvres qui ont abandonné le socialisme en économie émergent le mieux, ils ont adopté le modèle économique capitaliste en se rendant finalement compte de son efficacité. L'exemple de nos démocraties, impuissantes et démagogues, ne les pousse cependant pas à adopter nos systèmes politiques. La capacité de réforme de nos vieux pays sera à cet égard décisive pour le libéralisme politique et la démocratie.