Voici un remarquable extrait de A World Restored, ouvrage de Henry Kissinger publié en 1964 consacré à la reconstruction de l'ordre européen à l'issue de l'épopée napoléonienne. Ce passage très riche s'intéresse à l'art de reconstruire la paix : autolimitation, rejet du vain désir de vengeance, lucidité politique, équilibre, légitimité. (p. 138)
La France qui vainquit l'Allemagne et l'Autriche en 14-18 ne sut pas faire preuve d'une telle sagesse. Elle essaya d'abaisser le plus possible l'Allemagne - voire elle l'humilia sans l'abaisser réellement. Le traité de Versailles fit le lit d'une Europe instable dans laquelle l'Allemagne était le pouvoir révolutionnaire. Pire encore, le principe d'auto-détermination qui fondait la légitimité du nouvel ordre, permettant à la France d'anéantir l'empire autrichien, allait devenir une arme entre les mains de Hitler pour annexer les régions peuplés d'Allemands sans réaction des puissances.
Au fond la Prusse n'avait pas fait preuve de davantage de sagesse en 1870 en proclamant l'empire allemand dans la galerie des glaces et en annexant l'Alsace et la Moselle, actions humiliantes et abaissantes condamnant la réconciliation future avec la France. Ainsi le deuxième Reich s'aliénait ce pays d'une part et la possibilité de s'allier avec lui d'autre part. Bismarck s'était d'ailleurs exprimé vainement contre l'annexion.
Plus près de nous et postérieurement à la parution de l'ouvrage de Kissinger, remarquons que l'action des USA en Irak et en Afghanistan, à la recherche d'une paix totale alimente plus qu'elle ne dissipe une situation révolutionnaire. Mais quel ordre est possible entre deux forces qui considèrent chacune l'autre comme le mal absolu ?
Note : on peut trouver le début de ce texte dans un dictionnaire de la diplomatie - comme quoi je n'ai pas le seul à avoir été frappé par la qualité de ce passage - mais il semble que la restitution est défaillante.
Although every war is fought in the name of peace, there is a tendency to define peace as the absence of war and to confuse it with military victory. To discuss conditions of peace during wartime seems almost indecent, as if the admission that the war might end could cause a relaxation of the effort. This is no accident. The logic of war is power, and power has no inherent limit. The logic of peace is proportion and proportion implies limitation. The success of war is victory; the success of peace is stability. The conditions of victory are commitment, the condition of stability is self-restraint. The motivation of war is extrinsic: the fear of an ennemy. The motivation of peace is intrinsic: the balance of forces and the acceptance of its legitimacy. A war without an ennemy is inconceivable; a peace built on the myth of an ennemy is an armistice. It is the temptation of war to punish; it is the task of policy to construct. Power can sit in judgement, but statesmanship must look to the future.Les vainqueurs de Napoléon surent restreindre leurs revendications (en particulier grâce aux efforts de Metternich wp bc et Castlereagh wp bc) et construire un ordre viable dans lequel la France trouvait une place et mettait un terme à ses projets de conquête.
These incommensurabilities are the particular problems of peace settlements at the end of total wars. The enormity of suffering leads to a conception of war in personal terms, of the ennemy as the «cause» of the misfortune, of his defeat as the moment for retribution. The greater the suffering, the more the war will be conceived an end in itself and the rules of war applied to the peace settlement. The more total the commitment, the more «natural» unlimited claims will appear. Suffering leads to self-righteousness more often than to humility, as if it were a badge of good faith, as if only the «innocent» could suffer. Each peace settlement is thus confronted with the fate of the ennemy and with the more fundamental problem whether the experience of war has made it impossible to conceive of a world without an ennemy.
Whether the powers conclude a retrospective peace or one that considers the future depends on their social strength and on the degree to which they can generate their own motivation. A retrospective peace will crush the ennemy so that he is unable to fight again; its opposite will deal with the ennemy so that it does not wish to attack again. A retrospective peace is the expression of a rigid social order, clinging to the only certainty: the past. It will make a «legitimate» settlement impossible, because the defeated nation, unless completely dismembered will not accept its humiliation. There exist two legitimacies in such cases: the internal arrangement among the victorious powers and the claims of the defeated. Between the two, only force or the threat of force regulates relations. In its quest to achieve stability through safety, in its myth of the absence of intrinsic causes for war, a retrospective peace produces a revolutionary situation. This, in fact, was the situation in Europe between the two World Wars.
La France qui vainquit l'Allemagne et l'Autriche en 14-18 ne sut pas faire preuve d'une telle sagesse. Elle essaya d'abaisser le plus possible l'Allemagne - voire elle l'humilia sans l'abaisser réellement. Le traité de Versailles fit le lit d'une Europe instable dans laquelle l'Allemagne était le pouvoir révolutionnaire. Pire encore, le principe d'auto-détermination qui fondait la légitimité du nouvel ordre, permettant à la France d'anéantir l'empire autrichien, allait devenir une arme entre les mains de Hitler pour annexer les régions peuplés d'Allemands sans réaction des puissances.
Au fond la Prusse n'avait pas fait preuve de davantage de sagesse en 1870 en proclamant l'empire allemand dans la galerie des glaces et en annexant l'Alsace et la Moselle, actions humiliantes et abaissantes condamnant la réconciliation future avec la France. Ainsi le deuxième Reich s'aliénait ce pays d'une part et la possibilité de s'allier avec lui d'autre part. Bismarck s'était d'ailleurs exprimé vainement contre l'annexion.
Plus près de nous et postérieurement à la parution de l'ouvrage de Kissinger, remarquons que l'action des USA en Irak et en Afghanistan, à la recherche d'une paix totale alimente plus qu'elle ne dissipe une situation révolutionnaire. Mais quel ordre est possible entre deux forces qui considèrent chacune l'autre comme le mal absolu ?
Note : on peut trouver le début de ce texte dans un dictionnaire de la diplomatie - comme quoi je n'ai pas le seul à avoir été frappé par la qualité de ce passage - mais il semble que la restitution est défaillante.
1 commentaire:
J’ai passé un bon moments et j en ai eue plein les yeux!!!
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