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samedi 10 janvier 2009

Couvrez ce sein...

Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
Un message pour rappeler le sens de cette expression particulièrement galvaudée : il ne s'agit pas de moquer la pudibonderie mais l'hypocrisie.

La citation est prononcée par le Tartuffe dans la pièce de Molière qui porte son nom. La formule exacte est celle en tête d'article et non celle qu'on lit le plus souvent à savoir Cachez ce sein que je ne saurais voir. La plupart du temps, cette formule est utilisée pour critiquer une pudeur ridicule, une morale rétrograde ou ce genre de choses. C'est un mauvais emploi.

Tartuffe, le personnage de théâtre qui prononce ces mots, n'est pas un dévot : c'est un faux dévot, et c'est son hypocrisie et non sa dévotion, que Molière ridiculise.

La tartufferie décrit une attitude en apparence vertueuse mais en réalité totalement jouée par une personne qui présente les vices opposés. La tartufferie ce n'est donc pas s'offusquer d'un sein découvert, c'est faire semblant de s'en offusquer. Et parce qu'il rejette de façon fausse et excessive une chose, le Tartuffe révèle son propre vice. Nier, c'est avouer en quelque sorte.

Il est dommage que l'expression soit si souvent mal employée, il est encore dommage qu'elle n'ait pas été utilisée dans une récente affaire médiatique sur l'emploi du mot race, où elle aurait été parfaitement adaptée.

15 commentaires:

Anonyme a dit…

j'aurai appris un truc aujourd'hui.

Anonyme a dit…

"La tartufferie décrit une attitude en apparence vertueuse mais en réalité totalement jouée par une personne qui présente les vices opposés."
Tiens, du coup, je me demande comment on décrit l'attitude inverse de la tartufferie. Je veux dire, comment nomme-t'on la personne qui affecte et/ou prône le vice tout en étant incapable de le commettre ?
"Nier, c'est avouer en quelque sorte." Oui, et nier, ce peut être aussi affirmer le contraire de la vérité. Les dénégations ou les aveux ne renseignent pas de manière indubitable quant à la véracité.

Anonyme a dit…

Attention, le vrai dévot n'existe pas pour Molière, i.e. tous les dévots sont des imposteurs, donc, pour Molière, dire "faux dévot" ou "dévot" c'est la même chose. Si Molière avait voulu marquer une différence entre le vrai et le faux dévot, il aurait assurément fait apparaître un "vrai dévot" pour nous le faire comprendre or ne faisant apparaître qu'un unique dévot, faux comme vous dites, le spectateur doit en conclure que l'ensemble des dévots sont comme Tartuffe.

Apollon a dit…

Il est de faux dévots ainsi que de faux braves
...

Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction
Entre l'hypocrisie et la dévotion ?
Vous les voulez traiter d'un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu'au visage,
Egaler l'artifice à la sincérité,
Confondre l'apparence avec la vérité,
Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnaie à l'égale de la bonne.

Anonyme a dit…

Mais encore faut-il problématiser : de qui est cette réplique ? et quelle réponse lui fait-on dans la suite ? plus largement, pourquoi la pièce a-t-elle été interdite ? est-ce que Molière ne cherche pas avec le passage que vous citez à permettre à sa pièce de pouvoir être représentée ? Pourquoi alors ne montre-t-il pas un bon dévot et ainsi s'inscrire dans le théâtre de dévotion ? Puis je crois me souvenir que Molière est aussi l'auteur de Dom Juan qui ne croit, comme dit Sganarelle, "qu'en la mathématique"...

Apollon a dit…

"Encore faut-il problématiser" ? Excusez-moi je pouffe. La réplique est de Cléante, le libertin éclairé de la pièce. Sa signification est très claire et Orgon qui adore Tartuffe n'a plus que le sarcasme pour répliquer. Le passage de Cléante est très fin et il est vain d'y chercher un artifice qui servirait à montrer patte blanche à la censure, sauf à croire que la vérité de Molière est ailleurs que dans sa plume.

Anonyme a dit…

"Un libertin éclairé" disant cela devant un public de cour, c'est-à-dire la cour d'un roi qui l'est de droit divin... Effectivement cela doit être problématisé et, excusez mon oubli, également recontextualisé dans ce que l'on appelle une étude de réception (Molière savait bien entendu devant qui devait être joué sa pièce). C'est bien pourquoi, malgré la réplique de Cléante, la pièce fut longtemps interdite.

Apollon a dit…

Et bien vous avez tort. Molière est un grand auteur et il pense le message qui se trouve sous sa plume. Il n'est pas sérieux de soutenir qu'un auteur penserait en réalité l'inverse de son message en excipant d'éléments extérieurs plus ou moins miraculeux. Ce n'est qu'un artifice qui permet de corriger la pensée d'un auteur dans le sens qui nous plait. Relisez donc la tirade de Cléante que je cite, et si vous n'êtes pas convaincu relisez la scène.

Anonyme a dit…

Je n’ai jamais dit que Molière n’était pas un grand auteur !!!! Bien au contraire même, j’essaye de vous faire comprendre où est son génie, c’est-à-dire bien ailleurs que dans ce que l’on apprend à l’école malheureusement soit grosso modo dans la dénonciation de l’hypocrisie, vil combat convenons-en et qui paraît bien petit par rapport au génie de Molière pour lequel je m’accorde avec vous. Quant au fait que Molière pense le message qu’il a sous sa plume, cela ne veut pas dire grand chose, dans ce cas il pense aussi le « message » d’Orgon et celui de Tartuffe également. Quant à penser que Cléante représente la pensée de Molière, c’est encore beaucoup trop simpliste, pourquoi Molière alors n’a-t-il pas écrit une pièce avec le seul Cléante venant dire au public la pensée de Molière ? Mais ce qui est dérangeant dans votre propos, c’est que vous ne répondez pas à la question du contexte de la pièce, car bien évidemment Molière n’a pas écrit, ni pour moi, ni pour vous, mais bien pour un public de Cour et cela est une donnée essentielle pour comprendre la pièce, autrement dit il savait à qui il s’adressait… Je ne crois pas utiliser le texte mais je m’interroge et surtout je cherche à comprendre pourquoi – chose à laquelle vous ne répondez pas – la pièce fut-elle interdite, à cause de la réplique de Cléante peut-être pensez-vous… ?

Apollon a dit…

Il n'y a pas de "message" d'Orgon, Orgon est un personnage dont le ridicule et l'erreur sortent directement du texte. Des échanges entre Orgon et Cléante, des effets, du style, de la qualité de la pensée, on peut savoir quel est le message, la critique de Molière à savoir que l'hypocrisie peut exister même chez le dévot, càd celui en lequel on serait en droit de ne pas l'attendre.

Mais vous rejetez ce message en insistant sur des éléments extérieurs. Je pense malheureusement que vous confondez l'esprit critique et l'esprit de soupçon. L'esprit critique sert à évaluer librement les choses, l'esprit de soupçon sert à discréditer ce avec quoi on n'est pas d'accord et à rétablir la réalité dans le sens qu'il nous sied en écartant ce qui nous déplait.

Encore une fois, lisez ce que Molière a écrit, et ne cherchez pas à rétablir une hypothétique pensée de l'auteur qui irait contre ce qu'il écrit.

Anonyme a dit…

« Mais attaquer la fausse dévotion, l’hypocrisie religieuse, c’était suspecter toute l’Église. Sans doute Molière plaida-t-il habilement qu’il respectait la vraie dévotion et n’attaquait que la fausse et qu’il n’y avait pas de vice privilégié qui échappât à la censure de la comédie. »

Notice sur Le Tartuffe de Georges Mongrédien dans Molière, Œuvres complètes, tome II, GF-Flammarion, p. 251.

Apollon a dit…

C'est trivial et ça ne me contredit en rien. Oui attaquer la fausse dévotion c'est dire aux fidèles de se servir de leur tête pour juger du vrai et du faux dévot, c'est donc contester l'autorité de l'Eglise et cela explique la réaction. Mais ça ne dit certainement pas, comme vous le soutenez, que Molière dénonce toute dévotion comme hypocrite... Je note au passage - je ne critique pas - que vous opposez en fin de compte à la citation de Molière, l'avis de l'autorité. Ce qui ne manque pas de piquant.

Anonyme a dit…

L'important effectivement est de ne pas vous contredire. Bonne continuation.

Apollon a dit…

La contradiction aide à préciser sa pensée. En l'espèce elle m'a été utile. Merci.

Briséis a dit…

Bonjour,
Selon vous, dans quel contexte cette expression peut-elle être réemployée de nos jours ?